jeudi 30 décembre 2010

Un chinois dans Paris

voici ma boite de Samia Cynthia, le chinois de Paris
et le deuxième livret publié par Réciproques
http://www.editionsreciproques.org/10.html

 
Samia Cynthia
Un chinois dans Paris

Jamais on ne le croirait : des papillons énormes vivent dans Paris ! On pourrait penser qu’il en existe dans les jardins et les espaces verts ; ainsi que dans les parcs et milieux boisés divers. Bien sûr il y en a à Versailles, des vanesses par exemple, Vulcain et le Paon du jour ; des piérides comme la Piéride du chou qu’on trouve partout. Mais dans Paris intra-muros, en ville, dans les rues, à proximité des grands monuments, au milieu de la circulation automobile, c’est incroyable, non ?

C’est mon Maître de Cahors naturellement qui a été le premier à me raconter cette histoire. Car j’ai eu, quand j’habitais Montauban dans les années soixante-dix, un maître es-papillons. Il habitait Cahors, dans une petite maison de ville pourvue de tout l’indispensable : un côté habitation autour de la cuisine pour la famille ; une aile-papillons consacrée aux élevages et au rangement des magnifiques boîtes de noyer du Lot hébergeant les collections ; et un jardin de ville planté de toutes les espèces botaniques possibles, susceptibles de plaire aux chenilles les plus diverses. Des papillons à Paris, je ne l’ai cru qu’à moitié, même s’il exhibait dans une superbe boîte d’énormes saturniidae, d’allure exotique, soi-disant capturés à Saint-Ouen. Des Bombyx de l’ailante, appelés encore saturniidae au latin pluriel -on dit en français saturnides. Ce sont des papillons de nuit, arborant aux quatre ailes des lunules parfois transparentes, faisant penser à des yeux. Les saturnides du maître vivaient heureux dans la banlieue nord de Paris, non pas qu’ils aimassent les antiquités qui rendent célèbres les Puces de Saint-Ouen, mais parce que leurs conditions de vie y sont particulièrement propices.

Les petites maisons ouvrières sont entourées de murs encadrant le jardin. Comme la sublime « maison coloniale » rue des Rosiers que nous visitons chaque fois que possible. Elle a été transformée par son propriétaire, un grand décorateur. Quand on avait le droit d’entrer, nous nous faisions une fête le week-end de découvrir les nouveaux objets ajoutés depuis la semaine précédente. Le jardin tout petit est rempli de statues soigneusement moisies pour qu’on croie qu’elles viennent directement d’Angkor. A l’intérieur, les murs ont été littéralement transformés en fresques, d’où surgissent fausses moisissures et autres fougères, comme si on visitait la cabane très améliorée de lady Jane et lord Tarzan. Et les pièces sont pleines de curiosa ayant trait à la vie sauvage. Des animaux empaillés de frais. Un grand singe aux grands poils rouges se vautre sur un canapé. Des perroquets ; coquillages et papillons naturalisés. Les jardins voisins sont restés intacts comme leurs maisons d’origine, et sont souvent plantés d’un ailante. C’est un arbre à grandes et larges feuilles. Et les murs créent pour les moineaux un espace clos, -j’écoute raconter mon maître avec ravissement- qui leur donne un sentiment de claustrophobie. Ils hésitent à descendre dans ces jardins, laissant les ailantes tranquilles. C’est ainsi que les grosses chenilles de Samia Cynthia dévorant les feuilles peuvent se mettre à table tranquillement, sans être attaquées par les oiseaux.

Elles tissent leur cocon dans une feuille enroulée. Et à l’automne, si les feuilles normales tombent, celles qui hébergent un cocon restent pendues, enveloppant leur précieux trésor. La chenille prévoyante a en réalité tissé un pédoncule de soie, sachant sans doute qu’à l’automne les feuilles tombent et qu’il faut tisser un fil pour les retenir. Le trésor est très visible même de loin. Il suffit d’obtenir l’autorisation du propriétaire, ce qui n’est pas facile car naturellement il ne croit pas vos racontars et se demande si vous ne préparez pas votre prochain casse chez lui. Et s’il a dit « oui », reste à trouver une échelle (il faut que le proprio soit vraiment sympa), et d’aller les cueillir pour disposer d’une petite récolte de cocons. La courtoisie consiste à en laisser une grande partie sur place naturellement. En juin, les adultes vont éclore, et vous pourrez les relâcher, pour qu’ils aillent se balader dans Paris, où ils vont naturellement s’éclater en faisant les boîtes (de nuit).
C’est à cette époque de l’année que les Parisiens trouvent les papillons adultes posés sur leur porte. Ils n’ont jamais entendu parler d’une chose pareille et s’esclaffent ! Tout de suite ils téléphonent au Muséum d’Histoire Naturelle. Et aussitôt un spécialiste (les scientifiques du Muséum de Paris sont particulièrement diligents), leur  répond aussitôt, par e-mail dont nous avons pu avoir la copie, et qui dit ceci :

« Vous avez rencontré, ce jeudi matin 18 juin 2009, le plus beau papillon de Paris. C'est un saturnide découvert, en Chine, par Chéron d'Incarville. Le Bombyx de l'ailante a été introduit en France, par l'entomologiste Guérin-Méneville en 1845, pour concurrencer le Bombyx du mûrier. Comme la saturnide du chêne du Japon (Antheraea yamamai) et le ver à soie Tussah (A. pernyi) afin de trouver une espèce capable de remplacer le ver à soie atteint alors de pébrine… ». Vous vous rappelez Pasteur n’est-ce pas ?
« La soie obtenue étant de moindre qualité, l'expérience a été abandonnée. L'invention du nylon est aussi à l’origine de l'abandon de la soie naturelle ». Heureusement que les Indiens d’Inde perpétuent leur tradition, et que l’on peut, toujours à Paris où l’on trouve tout, aller rue Lescot dans la boutique du « Monde Sauvage » acheter des soieries somptueuses venant des palais abandonnés des derniers Maharadjah.
« L’ailante, la plante nourricière, a été introduite en  même temps. Elle est capable de dépasser 25 m de hauteur, et s'est acclimatée en Europe et l'arbre pousse aujourd'hui très facilement à Paris. La chenille inféodée à la plante trouve à se nourrir, donc il est possible de trouver le papillon dans le XIIIe arrondissement. Samia Cynthia/ (Drury, 1773) est un Lépidoptère Hétérocère (papillon de nuit) de la famille des Saturniidae et peut avoir une envergure de 120 mm.  Le spécimen que vous avez observé est magnifique et je vous laisse apprécier sa taille, sa forme et sa couleur. La présence de poils blancs sur l'abdomen est caractéristique. Une bande rose se détache sur la teinte brun olivâtre des ailes antérieures en forme de faux. Le papillon aurait tendance à se cacher la journée et être actif la nuit mais il est facilement repérable en milieu urbain et se trouve dérangé par les hommes qui s'étonnent de sa présence. Nous avons tout simplement oublié le papillon, et son aventure parmi nous, en privilégiant la soie artificielle moins coûteuse. Je vous souhaite de vous arrêter, sur le chemin de vos vacances (sans doute la route de la soie), pour visiter une magnanerie. Ainsi, vous comprendrez mieux le récit que je viens de faire. »

Classe, hein,  le Muséum ! Normal, c’est un scientifique ! Sans doute universitaire ! Pour dresser le bilan de l’existence des papillons en France, c’est Lui qui a inventé Noé.conservation.com, consistant à demander aux amateurs de signaler par internet la présence de cinquante papillons communs. Cela va permettre de mesurer ce que l’on craint être leur disparition progressive. On aurait pu imaginer que de telles activités se développent en province ! Mais non, les grandes initiatives se passent toujours à Paris, et dans notre cas l’existence de Samia Cynthia dans la capitale légitime totalement ce pilotage central.

Alors quand on vit à Paris, on peut même faire un élevage de Samia Cynthia. Au fait, comment expliquer Samia, et Cynthia ?

Sami est un prénom arabe qui signifie « élevé ». C’est du moins la théorie s’il s’agit d’un prénom. En réalité, le Gaffiot indique que c’est un gâteau, fabriqué à Samos qui est une île des Cyclades. Où d’ailleurs on cuisine encore des gâteaux (des brioches ensaimada ; des gâteaux aux abricots ; aux amandes de marron), qu’on mange avec du muscat de Samos. Je ne vois pas trop le rapport avec notre papillon !….

Quant à Cynthia, il s’agit de Kunthia. Ce prénom fait référence à la mythologie. En effet, Kunthia fut le surnom donné à la déesse Artémis parce que la légende veut qu'elle soit née sur le mont Kunthos.

Le rapport avec notre chinois n’est je l’avoue, pas évident du tout ! Il aurait sans doute été plus judicieux de lui donner un nom Ming (明朝, en pinyin : míng cháo), en référence à la lignée d'empereurs qui a régné sur la Chine de 1368, date à laquelle elle remplace la dynastie Yuan, à 1644 quand elle se voit supplanter par les Qing.  Mais nos anciennes références grecques  obsédaient trop nos anciens !

On peut donc faire un élevage, en partant de chenilles si on en trouve aux Puces ; ou même de l’œuf pour peu qu’on trouve une femelle disposée à vous en pondre quelques uns. Il suffit d’habiter dans un endroit propice. Il y a aussi Ménilmontant ; ou Maisons-Alfort. Alors il suffit de laisser tout simplement dans son ailante l’œuf ou mieux encore la chenille, les recouvrir d’une enveloppe en étamine au cas où les moineaux auraient vaincu leur claustrophobie, et d’attendre tranquillement que les feuilles tombent toutes seules à l’automne. Celles qui ne tombent pas sont celles qui vous intéressent naturellement.


Il m’est arrivé fréquemment d’aller à pied du 76 rue de Varenne à la D.G.E.R. C’est la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche du Ministère de l’Agriculture, qui, ancien Ministère des Paysans de Gambetta, a créé dès 1851 tout un système complexe pour assister les agriculteurs de la naissance à la mort, instituant notamment un enseignement spécifique (le savoir vert) ; un crédit spécifique (le crédit-agricole) ; un système d’assurance spécifique (Groupama) ; des mutuelles spécifiques (la mutuelle sociale agricole MSA), des Offices par filière comme l’Office des Céréales, maintenant délocalisé à Montreuil etc… Il existe donc toujours un Enseignement agricole spécifique, différent de l’Education Nationale, privé et public, où l’on prépare le Bac pro par exemple. Au top, c’est le 16 rue Claude Bernard, l’Institut National Agronomique, d’où l’on sort ingénieur agronome, et le 19 avenue du Maine, l’Ecole du Génie rural et des Eaux et Forêts. Désormais elle va former les nouveaux ingénieurs des Ponts, et des Eaux et Forêts, résultant de la fusion des corps des Ponts et Chaussées, et des Ingénieurs du Génie rural.  Tout ça est très parisien. Et la DGER est située avenue de Lowendal. Pas très loin des Invalides.

Le trajet à pied consiste donc à sortir de la rue de Varenne. Du numéro 76. Du Ministère de l’Agriculture donc. Vous observerez que ce ministère change de nom périodiquement. En ce moment c’est le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Mais c’est aussi le Ministère de la Forêt ; et de l’Alimentation. Et donc de l’Enseignement Agricole. On passe devant le musée Rodin où la cantine ouverte au public est d’ailleurs très bonne. On peut aussi manger rue Barbet de Jouy à la cantine du Ministère, très bonne aussi. Quand on est fonctionnaire parisien, il est vital d’être inscrit dans de bonnes cantines, pour pouvoir y déjeuner sainement entouré de collègues (de travail), comme ça on bavarde en mangeant, ce qui évite de bavarder avant ou après, et on atteint grâce à ça des performances professionnelles hors du commun.

Je suis donc rue de Varenne, et au bout je tourne à gauche boulevard des Invalides naturellement. Comme il faudra tourner plus tard à droite je change de trottoir (il faut passer au feu rouge car il y a deux voies et les Parisiens foncent sur les piétons hors la loi) et passe devant le musée des Plans-reliefs. Je passe devant l’Hôtel des Invalides, je pense à Napoléon, je pense à la Corse, et me dis que ce n’est pas ici que je vais voir Hospiton. Hospiton est le papillon le plus célèbre de l’Ile de Beauté. Je vais rue de Lowendal voir mon copain qui est adjoint du Directeur lui-même, et qui pilote tous les Etablissements d’Enseignement agricole de toute la France. Ce n’est pas rien !

Avant d’aller vers Lowendal, je traverse l’avenue de Ségur. Je la connais bien, car au bout il y a le Ministère de l’Ecologie, où j’ai d’autres copains qui tentent là de réaliser leurs rêves écolo. Maintenant c’est le Ministère de l’Environnement. Je vais les voir de temps en temps pour leur expliquer tout ce qu’ils pourraient faire avec les Systèmes d’information géographiques pour repérer les aires de vol des papillons, et surtout pour protéger les espèces végétales dont ils se nourrissent. Mais la plupart du temps mes copains qui ont de hautes charges au Cabinet, ou qui préparent le prochain rendez-vous de Bruxelles, ne m’écoutent pas, sachant que ignorant même qu’il existe des papillons dans Paris, et ignorant tout du latin et des plantes, monter tout ce bazar leur paraît tout bonnement superflu. Superflu, et incongru, puisque personne ne leur demande jamais de s’en préoccuper.

J’y vais quand-même pour l’honneur, mais j’avoue que ça ne sert strictement à rien, si ce n’est nourrir les bonnes relations ce qui est toujours utile.

Bon, voyez qu’en marchant je pense à tout ça, ce qui fait que, si on marche dans Paris, on réfléchit beaucoup ! Nous sommes en juin 2006, dans les derniers mois de ma vie active, et je préside le Conseil des Systèmes d’Information du Ministère de l’Agriculture. C’est un réseau de huit cents informaticiens et j’ai la charge « d’urbaniser » les systèmes d’informatique des composantes du Ministère, ça veut dire les organiser pour qu’ils fonctionnent entre eux à l’optimum. Et c’est un truc assez énorme puisque c’est avec ça qu’on paie la Politique Agricole Commune aux Agriculteurs. Et dans les ordinateurs géants qui centralisent toutes les données, il y a toutes les parcelles agricoles de France. Les vergers d’agrumes ; les oliviers. Il ne faudrait pas grand chose pour qu’on y ajoute les parcelles intéressantes sur le plan floristique et faunistique. Un outil gigantesque pour suivre l’agriculture. Mais qui pourrait servir à suivre la nature aussi, les plantes rares et même les papillons !….

Et je marche dans Paris, en pensant à tout ça,  pour voir mon copain de la DGER.

Vous avez noté que juin est le mois parfait pour le chinois de Paris qui vole sur les ailantes la nuit. Le jour, il est un peu ébloui et penaud, il peut se faire photographier n’importe où il s’est posé.


Et je vois… ça !





un chinois dans Paris !
l’histoire du Maître de Cahors :

était donc vraie !