vendredi 7 janvier 2011

Atropos

Le sphinx tête de mort de Turin


Acherontia Atropos



voilà une toute-petite boite Boubée

Atropos est l’une des trois sœurs Parques que la mythologie nomme les Moires. Elle est celle qui coupe le fil de la vie. Ses attributs sont le cadran solaire, la balance et les ciseaux, ou encore une sphère et un livre où elle lit les destins. Ses deux sœurs sont Clotho, qui file les jours et les évènements de la vie ; et Lachesis qui enroule les fils et dit le sort de chacun. Elles étaient représentées sur le forum où on les appelait aussi : tria fata, les trois fées.

Les Fates, est le nom du tableau de Salvati (1550), Galleria Palatina, à Florence.

Acheruns (locatif acheronti) c’est « de l’Acheron », du fleuve des enfers. On devine la sœur couturière avec son ciseau qui coupe la vie, le bouquin de votre destin à la main, voguant sur sa barque portée par le fleuve (noir tant qu’à faire, peut-être même hyper-pollué ? ) des enfers.

Dans le tableau que nous sommes en train d’inventer, comme un mécène de 1653 le notifiait à Jan-van-Kessel en lui dressant commande, il faut un crâne au premier plan (on appelle ce crâne figurant sur les tableaux flamands, (des natures mortes), représentant les cabinets de curiosités, une vanité, car les dérisoires exploits d’une courte vie ne sont que vanité devant une mort inéluctable). Peut-être pas loin encore un corbeau… ? Quelques boites à papillons…Cela vous paraît risible, mais l’auteur a réussi à rassembler tous ces ingrédients dans son bureau personnel, et vit ainsi soutenu (entre-autres) par ces références à la mythologie ! Dont font partie toutes les planches du Dictionnaire Universel d’Histoire Naturelle de d’Orbigny, consacrées aux papillons, chinées depuis quarante ans dans tous les endroits possibles où l’on vend des estampes. En commençant par les bouquinistes de la Seine à Paris. Elles sont rehaussées une par une de couleurs, protégées par une plaque minuscule de gomme. Beau travail de 1850 ! L’œuvre complète est à la bibliothèque Mazarine, mais un archiviste délicat voyez-vous a gâché chaque planche d’un énorme cachet rond d’encre violette, pour bien signifier aux lecteurs que tout ça appartient à Mazarin ! Il est vrai que ce Dictionnaire n’est pas fait, comme le mien, pour être accroché au mur.

Le papillons ne sont pas recensés dans les dictionnaires de mythologie égyptienne alors que, dans la mythologie grecque, le papillon est symbole d'immortalité. " Le papillon, c'est l'âme humaine comme le souligne l'étymologie : "psyché" en grec désigne à la fois l'âme et le papillon. Il a été cependant trouvé une référence qui prouve que le papillon devait tout de même revêtir un symbole particulier dans l'Egypte ancienne:

"[...] Si en effet le papillon diurne représente l'âme en ses pérégrinations vers le Paradis, le papillon nocturne symbolise l'âme de celui qui a péri de mort violente. Il erre à l'endroit où la mort a saisi son corps humain. Ainsi tous les papillons nocturnes, les sphynx et les bombyx, les phanèles et les noctuelles, participent du monde infernal. Dans son livre sur La Vie des papillons, F. Schnack raconte les tribulations mythologiques du Sphynx Tête-de-Mort. Il se nomme officiellement Acharontia, tirant ce nom du fleuve des Enfers où il est né.

Dans un sarcophage égyptien conservé au Musée égyptien de Turin, un pharaon des premières dynasties repose, un papillon Tête-de-Mort, noir et or, les ailes étendues sur la poitrine de la momie. Il garde apparemment le Pharaon, et vous regarde fixement pour l’éternité…

On a beaucoup parlé d’Acherontia, mais on ne sait pas encore qui il est ! Toutes ces vieilles histoires, c’était pour piquer votre curiosité bien sûr !

Pas plus tard qu’au mois de juillet dernier, nous sommes en 2009, et pour la première fois je parle d’un événement postérieur à 1976, voilà qu’Angèle, une fermière retraitée de la campagne landaise autour d’Orthez situé d’ailleurs dans les Hautes-Pyrénées, apporte à mon père, vénérable instituteur retraité qui passe l’été dans la maison occupée par la famille depuis le XVIIIè siècle, une chenille magnifique qu’elle a trouvé sur les feuilles des pommes de terre de son potager. (C’est mon père qui, tel Pagnol, m’a inculqué le virus. Plus précisément, Lorenz dirait qu’il m’a « imprégné ») ! Une trouvaille comme le raconte la littérature ! Alors que cela fait des années que j’inspecte tout champ de pommes-de-terre à ma portée, Angèle, elle, tombe sur une magnifique chenille adulte. Une bête magnifique, d’un vert anis comme on n’imaginerait pas. Les flancs décorés de triangles semblables (elle est forte en géométrie). Comme elle se sent observée, elle prend l’attitude du sphinx qui a donné son nom à la famille, en relevant la partie avant et en prenant une forme de crosse. Statufiée, avec sur le derrière un petit bout de queue ratatiné. C’est grand et impressionnant ; un peu camouflé dans la verdure des pommes de terre, mais très visible car il y a du jaune, du rouille, et … cette grosseur !


 
Cette chenille nous la remettons dans le potager. Elle va perdre son impassibilité, marcher de son allure de caterpillar, en réalité elle cherche de la terre meuble, car elle va forer un trou, et s’enfoncer dans le sol, dépassant les vingt centimètres. Là elle dégage un terrier, qu’elle revêt de suc pour solidifier l’abri. Puis se transforme en chrysalide brune, la taille en proportion c’est à dire énorme par rapport aux papillons dont nous avons parlé jusqu’à maintenant. Une belle couleur brune-acajou, luisante comme si on l’avait brossée avec de la cire de carbamex, vous savez, celle qui est riche en carnauba. (Si vous ne connaissiez pas, cherchez et procurez vous en pour en frotter votre précieuse commode d’époque). A l’arrière, le futur abdomen du futur papillon se reconnaît déjà, à ses portions de tubes emboîtés l’un dans l’autre, qui oscillent quand on embête l’objet, comme le tube caoutchouc qui relie votre levier de changement de vitesse au sol de la voiture. On dirait qu’il tente de chasser une mouche qui l’ennuie. Au milieu, la trace en relief des futures ailes. Et sur le nez, un tube, qui enveloppe la future trompe. Ici ce tube est court et trapu. Chez le sphinx du liseron, qui adulte papillonnera devant les fleurs de liseron tel un colibri, le tube est immense, et se recourbe vers le bas : il protège la future trompe, dont la longueur est adaptée à la profondeur des fleurs de liseron, quelque chose comme dix centimètre facilement ! La taille est bien celle d’un colibri, et on ne sait dans la théorie de l’évolution de Darwin qui imite l’autre.

La transformation en chrysalide accomplie, il faut attendre l’année suivante, et maintenir au noir, à l’humidité mais pas trop, toutes ces chrysalides de sphinx, jusqu’à ce que la saison redevienne favorable.

Le miracle s’accomplit une fois de plus, et vous imaginez le papillon éclos, ailes fripées encore en vrac sur le dos, accomplissant l’escalade de vingt centimètres dans la terre de la cavité abritant le cocon vers le haut. Surgissant sur le sol. S’accrochant au moindre  support qui dépasse, soufflant dans les ailes, et déployant le tout, comme un avion de chasse sortant du ventre du porte-avions se déplie pour prendre la position de décollage.

Le corps énorme est jaune orangé, avec sur l’axe supérieur des triangles noirs superposés. Le tout luit d’un duvet éclatant, comme après un shampoing Ushuaia. Les ailes pliées en triangle sont décorées dessus d’un lassis de figures brunes complexe. Dessous les postérieures sont jaune, bordées de noir.

Et sur le thorax s’étale la fameuse vanité, le crâne, frappant d’exactitude, d’une tête de mort.

Ca fait peur !

Et quand l’engin qu’on provoque avec le doigt, prend brutalement conscience de son moi, si l’on peut dire, l’effroi grandit encore quand on entend le coup de trompette ! il souffle dans sa trompe ! Le seul papillon faisant du bruit ! Inattendu, ce son joue son rôle de surprise, et fatalement on recule devant le monstre ! Il s’envole lourdement. Ouf, c’est un peu inquiétant ! On serait presque tranquille qu’il soit parti !

Atropos adore le miel ; il le sent à distance, et file vers la plus proche ruche. Il finit par rentrer. Les abeilles sont aussi inquiètes que vous ou moi de le voir attaquer. Il pénètre cependant, protégé par sa rude écorce de duvet laineux, et par une force de brute. La faim est la plus forte. Le suçoir par lequel il souffle la trompe, est remarquablement court et fort, et lui sert à transpercer les rayons Parfois, les abeilles ont raison de lui, et l’apiculteur le retrouve mort dans les rayons, enveloppé d’un suaire de cire. Souvent, il prend le dessus, et ressort un peu dépenaillé, mais l’estomac gavé de miel.

Malgré son aspect massif et pesant, le Tête-de-Mort est un excellent voilier. Il fonce la nuit comme une torpille. Au cours du vol, le mâle retrousse une touffe de poils odoriférants qui émerge d’une poche abdominale. Il recherche la lumière, et quand il est excité, fait entendre son plaintif cri de souris.

Voilà, on a beau être rationaliste, ça fait réfléchir tout ça ! et si le pharaon de Turin avait raison après tout ?

A tout hasard, j’ai préparé dans une petite boite à papillon, le format un quart de la grande, quelques Atropos naturalisés en vol. Je voudrais bien partir avec eux, le grand jour où…





Peut-être comme le Pharaon de Turin sauront-ils me protéger des dangers des ténèbres ?