dimanche 16 janvier 2011

Hospiton


ou Bonaparte prend le maquis

je vous explique plus loin pourquoi je n'ai que ce souvenir !

 
Dans un parcours qualifiant d’Ingénieur du Génie rural, des Eaux et des Forêts tel que je l’ai connu à partir des années 1969, ancien Ingénieur agronome de L’institut National Agronomique de Paris de surcroît, il aurait fallu séjourner en Afrique ; y découvrir la pureté originale des civilisations précédant la nôtre (occidentale, développée, démocratique et productive) ; y porter les valeurs de la dite civilisation ; y devenir le porte-parole de Mao Tsé Tung (mieux vaut leur apprendre à pêcher plutôt que leur exporter notre poisson… quoi-que…) ; devenir un french agricultural engineer. Forer des puits (s’il n’y a pas d’eau salée car sinon, elle détruit tout) ; irriguer des cultures vivrières. Ah oui : créer des coopératives. Inventer le micro-crédit ; lancer le commerce équitable. La forêt durable, et le bois reproductible. Quand j’y pense, que de regrets…

Sauf que nommé Directeur départemental de la Haute-Corse à Bastia en 1985, j’ai eu tout ça à faire pendant près de trois ans.

L’économie agricole corse s’était réveillée lors de l’occupation de la coopérative d’Aléria dix ans auparavant en 1975, et je dois dire qu’il ne s’était pas fait grand chose dans les dix ans précédant mon arrivée. Erreur : les romains avaient découvert deux mille ans auparavant les vins de Patrimonio, et les vins de qualité qui font toujours l’honneur de l’Ile, et ça c’était dans la partie positive du bilan. Charcuterie traditionnelle, fromages odorants aussi. Non ce qui collait mal, c’était que nos amis rapatriés chassés d’Algérie en 1962 avaient pris pied sur l’Ile, et s’étaient mis dans la tête d’y reproduire le modèle de développement d’Afrique du Nord : planter et développer la culture des agrumes ; du vin de consommation courante dans la plaine d’Aléria, des arbres fruitiers avocatiers et amandiers, et même du maïs. Normaliser l’élevage. Et rentabiliser la forêt de pins Laricio. Créer une économie insulaire développée Tout cela en protégeant une ressource naturelle exceptionnelle : une montagne les pieds dans la mer ; Des espèces rares. Tous les gages d’un tourisme de qualité en plein centre de la Méditerranée.

Et tout ça, à la barbe des Autochtones, en leur donnant le sentiment de leur donner des leçons de Progrès : on va la développer votre Ile, que ne l’avez vous fait comme nous avant  !

Et on me demandait, à moi simple Chef du service d’Arles, de m’engager dans cette mission !

Comme si on m’avait envoyé en Afrique !

Sachant qu’en Corse, on est un peu en Afrique : il y a des palmiers  ; de petits ânes partout. Une colonie arabe qui justifie un Consul marocain spécial. Des orangers. La mer bleue. Des villes blanches…j’estime avoir l’équivalent d’une expérience africaine du moins du nord de l’Afrique !

Et je suis devenu Directeur de l’agriculture et de la forêt. Et j’ai dirigé une soixantaine de collaborateurs. Et j’ai passé des jours et des nuits et des dimanche aussi à lire les dossiers, mal rangés de surcroît, comme le Plan Agrumicole Corse, plan financé par l’Union européenne qui visait à transformer le verger local produisant de petites mandarines pendant la courte période de Noël en verger produisant de grosses mandarines pendant une période plus grande. Tu parles : ça supposait arracher le verger ; le replanter ; le sur-greffer avec des plants vierges de tout virus fabriqués de l’INRA de San Guliano. Et rémunérer les exploitants pendant la période de trois ans pendant laquelle ils n’avaient pas de récoltes.

La chasse aux papillons ? N’y pensons plus ! Je n’y ai jamais plus pensé…..

Encore que….

Quand on emménage dans l’Ile, il y a des contraintes pratiques : il faut se loger. Disposer des meubles minimaux. D’électro-ménager. De vêtements propres pour aller au bureau… Donc on déménage (sur un bateau de marchandises à l’époque), pendant qu’on prend le ferry  spécialisé dans le transport des passagers et des véhicules. Les boites Blanchard prenaient dans leurs emballages spéciaux une place folle : restées dans la cave d’un ami sur le continent ! Elles ne ressortiront qu’à Toulouse au retour ! Intactes malgré l’humidité grâce à leur conception exceptionnelle.

Un directeur qui se montrerait le dimanche avec un filet à papillons ? La presse en ferait immédiatement les gros titres : « un continental s’attaque à la biodiversité de l’Ile ». « Mais où se croit-il ? aux colonies ? ». « Qu’il retourne sur le continent » !

Non, c’était impossible !

Et pourtant je savais grâce à Darwin qu’il vivait sur place plein de papillons endémiques ! Et moi qui voulais connaître les Papilio de la Méditerranée, j’étais dans les conditions idéales !

Et il y avait Hospiton !


Achille Guenée (1 January 1809 - December 30, 1880) was a French lawyer and entomologist.

He was born in Chartres and died in Châteaudun.

He was educated in Chartres where he showed a very early interest in butterflies encouraged and taught by François de Villiers (1790-1847). He went to study “Le Droit” in Paris then entered the “Bareau”. After the death of his only son, he lived at Châteaudun in Chatelliers. During the Franco-Prussian War of 1870, Châteaudun was burned by the Prussians but Guénée’s collections remained intact.

He was the author of 63 publications, some with Philogène Auguste Joseph Duponchel (1774-1846). He notably wrote Species des nocturnes, or, in English Night species (six volumes, 1852-1857) forming parts of the Suites à Buffon. This work of almost 1,300 pages treats Noctuidae of the world. Also co-author, with Jean Baptiste Boisduval, of Histoire naturelle des Insectes. Species général des Lépidoptères (vols 5-10, 1836-57).

He was a founding member 1832 of the Société Entomologique de France, (1832) and was president in 1848 then honorary member in 1874.

Je vous ai joint cette note de Wikipedia car elle cite les noms des entomologistes des années 1850, période faste où les grands scientifiques s’intéressaient à notre domaine, et décrivaient les espèces. C’est A.Guenée qui décrit Hospiton en 1839.

Hospiton : the corsican swallowtail ! Der schwalbenschwanz ! la „queue d’hirondelle corse“ ! Le cousin de Machaon : il lui ressemble et il ne lui ressemble pas. Il faut voir les chenilles pour constater qu’elles sont vraiment différentes. On ne le connaît au monde qu’en Corse et en Sardaigne ! Ce serait une relique himalayenne… !


Je ne puis pas séjourner dans l’Ile de beauté sans voir Hospiton dans son biotope !


Que dit la littérature ? « le Porte-Queue de Corse est un insecte lépidoptère de la famille des papilionidés. C’est concis ! Envergure : 34 à 38 mm ; Période de vol : avril à juillet en une seule génération. Habitat : maquis des régions montagneuses, jusqu'à 2000 m. Plantes-hôtes : ombellifères. Localisation : Corse et Sardaigne. »

Impossible entre parenthèses de trouver où Linné à moins que ce soit Guené, a trouvé ce nom. J’ai imaginé qu’Hospiton était docteur comme Machaon et Alexanor, ce qui aurait donné une logique à l’intitulé : rien. La seule racine qui pourrait faire l’affaire : hospitus latin, qui donne hospitalier, pourrait donner au génitif : hospitum. Mais pas hospiton. Pourtant, l’hospitalité corse ? Et en grec je n’ai rien trouvé ! A suivre si vous avez une idée ?

En pratique, pour le trouver, il faut aller en altitude. Il faut repérer la plante-hôte : notamment Ruta Corsica C'est elle aussi une espèce endémique de Corse et de Sardaigne où elle croît surtout sur les graviers et dans les rocailles qui bordent les torrents de montagne. Les feuilles sont divisées en nombreuses folioles ovales. Les fleurs ont des pétales blanchâtres, crénelés. Les lobes de la capsule sont aigus.


Quant à Ferula communis, impossible de la rater : c’est la Férule, une plante dont la croissance est spectaculaire au printemps, puisque en quelques semaines la tige peut atteindre deux mètres. Cette espèce est commune dans le bassin méditerranéen, mais rare en France continentale, sauf à Cahors, où vous imaginez bien que mon Maître en avait replanté ! Les feuilles sont divisées en lanières allongées. Comme le fenouil que mange la chenille de Machaon. Les fleurs jaunes sont groupées en grosses ombelles sphériques.

La férule était une baguette utilisée dans l'Antiquité pour corriger les enfants (du verbe ferio, je frappe). Mais le nom de cette plante vient du verbe fero, je porte. Elle servait en effet à conserver et transporter le feu.

Mais surtout, elle est toxique : ses parties aériennes et racines contenant un latex toxique, surtout en début de période végétative : plusieurs hétérosides à activité coumarinique (férulenol, ferprénine...). C’est lors de mélange avec le fourrage ou lors de disette que  les bovins, ovins, équins et porcins s’ils en mangent peuvent avoir les symptômes de réaction : installation progressive avec diminution puis disparition de l'appétit, in-rumination, prostration. On observe alors un syndrome hémorragique (épistaxis, pétéchies sur les muqueuses, hématurie, diarrhées hémorragiques et ictère) évoluant vers la mort. Vous voyez que j’ai fréquenté les vétérinaires !

Alors, avec les vaches (corses) étant lâchées dans le maquis, vous pensez bien que la férule, les éleveurs les coupent ; en pratique, ils mettent le feu au maquis, qui fait de l’ombre à l’herbe et empêche tout bêtement de pénétrer,  tellement les plantes arbustives forment un lacis impénétrable, pour qu’il pousse de la bonne herbe à la place. Et ça fonctionne !

La chenille d’Hospiton, qui dévore les feuilles situées au pied, n’a alors qu’à bien se tenir !

Alors sans filet, je me mets à chercher. De Bastia, je pars vers le centre de l’Ile, traverse la Castagniccia. En profite pour suivre le chemin de fer métrique ; pour m’extasier sur les aller-retour de la voie à Vivario pour franchir la forte pente. Comme à Darjeeling dans l’Himalaya ! Rien. J’ai perdu mes repères. Je reste continental. Je suis devenu un fonctionnaire d’autorité civilisé. Je ne sens absolument plus papillon ; Je n’ai aucun point commun avec Hospiton.

C’est grave !

Il faut trouver un vrai Corse du coin ! Il faut demander à un naturaliste ! un chasseur !

Dans mon boulot forcément je rencontre les chasseurs, la Fédération départementale des chasseurs corses : Ils gèrent la faune sauvage. Ils sont pour certains Officiers de Louveterie. Organisent les chasses au sanglier (sauvage). Des battues. Ils connaissent le maquis. Les férules. Ils doivent pouvoir me renseigner ?

Il y a notamment Dominique Mezzadri. Le Président lui-même de la fédération départementale. Je lui fais des discours de clôture lors de ses Assemblées générales annuelles. Il est vice-président de la fédération nationale, et sa carte de visite est pleine de références plus prestigieuses les unes que les autres. Région cynégétique Midi-Méditerranée. Conseil National de la Chasse et de la faune sauvage. Président d’honneur de la Société d’ornithologie et de protection des oiseaux de Roumanie…

Un détail qui a son prix : c’est le sosie de Bonaparte, de Bonaparte au pont d’Arcole !

Et ce qu’on ne dit pas dans les biographies, c’est le demi-frère de Paul Giaccobi, le Président du conseil Général de Haute-Corse, mon interlocuteur pour tout ce qui concerne les questions d’Aménagement Rural ! Je vais le voir chez lui, découvre son amour pour les tapis persans qu’il possède en grand nombre. Tu parles, sénateur, il séjourne en permanence à Paris, et il y connaît les bonnes adresses. Je lui propose pour limiter les incendies de maquis (car les arrêter est impossible) de créer une politique de traitement des ordures ménagères et de résorption des décharges sauvages, qui sont en permanence en train de brûler. Et j’obtiens son accord ! J’obtiens aussi son accord pour aider à l’assurance des vaches errantes dans le maquis, car assurées elles seront identifiées par leur propriétaire, qui ne pourra plus dire qu’elles ne sont pas à lui quand elles se baladent sur les routes, risquant de causer des accidents. Et les nourrissant normalement, les exploitants ne ficheront peut-être plus le feu aux férules pour qu’elles ne collent pas de maladies aux vaches ?

Je suis en pleine utopie créatrice, mais seule l’action fait vivre, et je dois bien participer à la survie d’Hospiton.

Et j’ose le dire à mes interlocuteurs : je veux le voir cet Hospiton.

Et je suis invité à Venaco, chez le Président soi-même. Il y a le président. Son demi-frère sosie de Bonaparte et Président des Chasseurs devenu mon ami. Il y a la maîtresse du Président et son chien Milou qui chante ! Et le Président a organisé un barbecue de saucisses dans le jardin. Et ils me disent que le jardin, justement, c’est une plage de vol d’Hospiton qu’ils connaissent bien et qui viendra en voisin car il habite pas loin.

Je me demande où je suis, et fais gaffe à ne pas dire de bêtises !

Et on mange des saucisses. Et à la fin du repas, le chien qui est un caniche en réalité se met à la demande du Président sur ses pattes de derrière (ça s’appelle faire le beau) et se met à chanter tel Michael chien de cirque, le livre de notre enfance ! Et je me demande où je suis et ne dis rien, rongeant mon frein comme on dit.

Et là, dans la fumée du barbecue, je les vois !

Deux Hospiton arrivent, comme on m’avait dit. Et ils tournent en rond, visiblement attirés par le fumet de la saucisse. Ils voudraient leur part. Et ils me narguent !

Je n’ai évidemment ni filet ni appareil photo, et ne puis que les contempler sans avoir le droit de les attraper. Encore moins de les mettre plus tard en boite !

Voilà mon souvenir d’Hospiton : je l’ai vu, pas pris. C’est peut-être plus moral ainsi : au moins, je n’aurai pas contribué à une quelconque atteinte de l’espèce.

Quelques mois ensuite, Dominique m’écrit, avec sa célèbre carte de visite pleine de références prestigieuses. Il comprend que j’aie pu être frustré, et il m’envoie deux Hospiton capturés à Venaco, dans leur papillote ; car il sait chasser les papillons, vu qu’il a participé en Afrique à la lutte contre le criquet pèlerin, et que des filets, il en a. C’est un véritable entomologiste.


 
Merci donc à Bonaparte pour Hospiton !

Et que le maquis te protège des continentaux,
beau Papilio endémique, fierté de Kallisté,
l’ile de Beauté !