vendredi 7 janvier 2011

Le Grand Paon de Nuit

Le grand Paon de Nuit
ou la gloire de Jean-Henri Fabre



Il se nomme Saturnia Pyri…



…et vous avez compris maintenant que l’exégèse du nom latin nous ouvre des tas de perspectives ! Car Saturnia, déjà, désigne le sombre anneau ocellé de Saturne, qu’il porte sur chacune de ses quatre larges ailes. Dans les temps anciens, le paon était consacré à Saturnia, la fille de Saturne, qui s’identifie à la déesse grecque Héra. Sur le plumage de son oiseau étoilé, la déesse avait semé les cent yeux d’Argus, son fidèle gardien, mis à mort par Hermès, sur l’ordre de Zeus ; c’est lui qui avait accablé la jolie Io, l’amie des paons du jour dont nous parlerons tout à l’heure. Mais vint le crépuscule des divinités grecques et le paon s’était décoloré, et s’était enfui dans la nuit (où tous les papillons sont gris).

Les sombres pupilles du Paon-de-Nuit sont placées de travers, et s’entrouvrent sur une lucarne translucide, qui fait la particularité de la famille des Saturnidae, famille nombreuse dont les membres sont légion sur la planète. Nous en France avons cinq membres seulement de la famille en question : le grand Paon de Nuit ; le Petit Paon ; le Moyen, et la Hachette Aglia Tau sur laquelle nous passerons faute de temps. Il suffit de dire que sa lucarne a la forme d’une hachette blanche, d’où le nom commun. Cela fait quatre : je vous ai caché le cinquième membre pour vous en raconter la belle histoire tout à l’heure… Mais en Afrique, on a des géants (l’un s’appelle Attacus Atlas naturellement), et ils sont très prisés des collectionneurs !

Sinon, il s’agit du plus grand papillon du Continent et forcément on le respecte pour ce motif. Les ailes brun sombre et veloutées, les bords extérieurs ornées d’un ourlet fauve, se voilent d’un brouillard gris, où des bandes couleur bois-roux inscrivent leurs zigzags, comme des éclairs (lancés par Zeus soyons poètes jusqu’au bout !).

C’est le moment de dire que pyri désigne la plante hôte de la chenille, en fait les rosacées font toutes l’affaire : la saturnide du poirier ! Mais les anglais disent Large Emperor Moth ! le grand empereur des papillons de nuit ! car l’Emperor Moth tout court, c’est le petit paon de nuit !

D’autres disent Bombyx.  Bombyx Pyri ! Vous voyez pourquoi le nom latin facilite finalement l’identification : les noms communs voulant se parer de poésie approximative, on finirait par s’y perdre !

Avec le grand-paon de nuit, on touche à l’histoire de la poule et de l’œuf : lequel a commencé le premier.

Je ne me rappelle plus comment j’ai procédé la première fois, car justement il faut qu’il y ait une première fois. On était dans les années précédant 1976 (vous voyez il faut que ce soit systématiquement avant sinon je risquerais la contravention). On passait l’été à Montpezat du Quercy, dans le département de Tarn-et Garonne, tout proche du Lot, terre des merveilles dont nous reparlerons tout à l’heure, dans un gîte rural. En plein causse calcaire, planté de chênes, parsemé de fenouils, l’été bruissait de petites cigales voulant dépasser par leur bruit leurs grandes cousines de Provence. Partout des cultures, dans un système que l’on appelle « petites exploitations familiales », vivant d’un mixage de vignes ; vergers de poiriers et pêchers ; melons, fruits et légumes en tous genres. C’est dans ce paradis que poussent les truffes, que ce soit à Lalbenque bien connue pour son marché d’hiver, ou Cuzance où l’on a récolté jusqu’à dix tonnes de truffes dans les années 1900. En tous les cas, on trouve toujours chez les établissements Gaillard en plein centre de Caussade, pays des chapeaux de paille, des truffes soit l’hiver et elles sont Tuber melanosporum, soit l’été où elles sont forcément aestivum, et elles satisfont les plus gourmets.

Passons.

Car enfant, mon père m’avait fait lire tous les livres de Jean-Henri Fabre, avec des histoires extraordinaires de fourmilions qui piègent les insectes dans leurs fameux entonnoirs. Et de Grand Paon de Nuit, attirés par la femelle mythique,  à condition toutefois d’en disposer pour refaire la célèbre expérience.

Alors pour commencer, nous disposions le soir sur le mur de la grange exposée au sud un drap de lit emprunté dans la réserve familiale, éclairé par une lampe ultra-violet. Il fallait déjà en trouver car la mode des boites de nuit étant moins répandue, l’engin était plus rare.

Et la soirée se passait à guetter l’arrivée des insectes attirés comme le garantit la littérature, par ces rayons d’autant plus intéressants qu’ils étaient rarissimes dans un espace rural, pas encore  mité par les éclairages montmartresques qui équipent maintenant nos villages. Dans la Haute-Garonne, c’est le Conseil Général qui finance systématiquement ce qu’il appelle des travaux d’édilité, et vous n’êtes pas dans le vent si la moindre commune de la majorité (et elles sont majoritaires) ne possède pas ses lampes Montmartre, en vrai-faux cuivre, et avec des ampoules halogènes. Quant aux municipalités d’opposition, elles se font un honneur d’avoir les mêmes que celles de leurs rivaux. Et elles y arrivent forcément avec le temps, tous les villages finissant ainsi par plagier Montmartre. Les astronomes du Pic du Midi de Bigorre pourtant loin de ces fantaisies disent bien que cette pollution nocturne les empêche d’observer les planètes tellement il fait jour la nuit, pour dire si je n’exagère pas. Quant aux papillons, vous pensez bien qu’ils sont égarés par cette profusion d’éclairage, et qu’ils ne viennent plus vous voir la nuit pour peu que vous ajoutiez votre maigre loupiote au reste !

On n’en était pas encore là ! Et nous observions le fameux drap. Y venaient des quantités de bestioles, et combien de fois j’ai fait peur à la famille avec les hyménoptères divers, guêpes et autres bêtes-qui-piquent, attirés par l’ambiance boîte-de-nuit, mais sans intérêt s’agissant de l’expérience de Fabre.

Parce que le début consiste à disposer d’une femelle vierge. Oui vierge. Car alors vous vous rappelez, elle émet des phéromones. Ici l’émission est à la hauteur d’un Large Emperor : fan-tas-tique. Les mâles la sentent à des Ki-lo-mè-tres ! La femelle est un peu plus corpulente que le mâle (elle est conçue pour pondre, et les critères de sa beauté échappent complètement à nos magazines de mode). Ses antennes ressemblent à de petits fils jaunâtres, avec de petites arêtes de chaque côté d’une nervure centrale. Mais les antennes du mâles ressemblent à de vrais antennes de télé, en forme de râteaux ! C’est pour mieux humer les phéromones. Et comme ils ont un vol puissant genre chauve-souris, leur arrivée qui est forcément subite puisqu’il fait nuit donne un vrai choc au mec qui roupille à moitié (puisqu‘il fait nuit) en attendant un peu bêtement il faut bien dire, l’œil rivé sur son drap éclairé, vivant le syndrome du pêcheur l’œil rivé sur son bouchon, c’était à une époque où on ne regardait pas la télé donc forcément on s’ennuyait un peu !

J’ai un trou de mémoire. Ou bien par une chance extraordinaire, le drap a attiré une femelle vierge. Ou bien plus vraisemblable, étant en lien avec des collègues ayant résolu la quadrature de la première fois, ils m’avaient vendu un cocon contenant une femelle. Dans ce cas, le collègue a procédé avant vous à un élevage. Il a ouvert le cocon et sorti la chrysalide. Tout cela est très gros et ne requiert pas des qualités de grand chirurgien. Il a observé la trace des antennes. Et s’il ne s’est pas fichu dedans, il trie les antennes larges (on n’en veut pas) et vous vend les antennes étroites : les femelles. On se trompe à vrai dire une fois sur deux donc il en faut beaucoup pour faire jouer la statistique qui dit que le nombre des sexes est égal. Quand l’adulte naît, on reconnaît tout de suite, et on met la femelle au placard. C’est une façon de parler, il faut une cage grillagée, genre garde-manger d’autrefois. Elle est forcément vierge. Donc elle émet ses phéromones, et devient la passion chimique de tout le voisinage. Oui, c’est comme ça que j’ai résolu le problème de la poule et l’œuf !

J’ai du trouver une poule toute fraîche… !

Je n’ai pas su résister !

Et on en a vu venir des mecs ! Quels souvenirs : de partout. Un bruissement d’ailes très reconnaissable dans le calme d’une nuit de campagne. Et ça se pose sur le drap. Mais où est-elle cette meuf ! car une fois arrivé sur place, les phéromones imbibant l’atmosphère, il faut s’orienter finement, découvrir la dame, entrer par l’ouverture, la saisir, la…combler !

Oui on a vu tout cela, et c’est un spectacle simple et grand comme la nature nous en offre. Grandeur et simplicité. Une fois devenue Dame, l’émission de phéromones cesse immédiatement. Et la cour des exclus se trouve un moment dépourvue, puis peu à peu file vers de nouvelles fragances.

La suite oblige à un élevage en règle : observer la ponte, c’est facile, les œufs font 2 à 3 millimètres. Il faut les mettre en ambiance d’humidité propice, et offrir aux petites mandibules des feuilles de pyri bien fraîches. Et ça mange. Et ça dévore. Et ça grossit. Et ça mue. Ca crotte aussi, il faut bien le dire, et la prévention des maladies exige un nettoyage en règle. De petits asticots noirs, la peau devient peu à peu verte, avec des rayures transversales noires. Ornées de pustules orange, d’où dépassent des poils hérissés, un peu comme ceux des grand-mères d’autrefois, avant que leur soient accessibles les rasoirs modernes. De grosses bêtes de grosses chenilles énormes !


Car le fruit de tout ce manège est proche : celui de la transformation en chrysalide.

Car c’est une autre merveille de Saturnia Pyri : le cocon qu’il tisse d’abord, pour y cacher sa chrysalide ! C’est comme une nasse, une nasse à anguilles : l’enveloppe blanche qui devient brune comme une couleur d’écorce du cocon (toujours le camouflage) est équipée d’un bout d’une nasse. D’une double nasse : on sort, mais on n’entre pas ! Le plus fort c’est que le grand papillon sortira l’année d’après de la nasse, quand ses ailes sont encore toutes petites sur son corps. Il émettra un diluant qui lui permet de sortir par l’orifice pourtant bouché. Après son départ, le dit orifice se referme, et on se demande comment il a pu en sortir. L’adulte comme à l’accoutumée s’accroche par les pattes à un support, des pattes bien duveteuses comme un gros nounours, et se souffle dans les ailes. Elles se déploient peu à peu et donnent comme un grand duvet. Les ailes dessus recouvrent en triangle celles de dessous. L’ourlet ocre devant cache les antennes. Et apparaissent les ocelles, les yeux doit on dire, et déjà ils vous regardent pensifs, défense passive intrigant le prédateur.


Il faut rappeler qu’en huit jours, Jean-Henri Fabre (que Darwin avait appelé dans L’Origine des Espèces en 1859 , « l’observateur inimitable ») réussit, à attirer de plusieurs kilomètres à la ronde cent cinquante mâles de Grand Paon de Nuit au moyen d’une femelle captive. Ca se passait dans les années soixante, mille huit cent soixante ! Il y a aujourd’hui près de cent cinquante ans !

On trouve toujours des Grands Paons de Nuit accrochés aux portes des maisons au printemps. J’en ai trouvé aux portes de l’Agence du Crédit Agricole d’Aspet par exemple. Aspet célèbre pour son col emprunté par le Tour de France est proche de la montagne, et reste un petit village tranquille. Les paons de nuit y sont encore chez eux.



Que les montagnes restent le refuge de nombreux papillons !


Etude d'Anne Smith....
...peintre de la Marine ! la classe !