vendredi 7 janvier 2011

l'écaille chinée de Rhodes


voilà une ancienne boite Boubée, en simple carton, avec quelques Ecailles, notre papillon est à gauche


L’Ecaille chinée
(de Lalique, Piero di Cosimo et de Rhodes)

Rappel à l’ordre pour commencer, sinon on va s’y perdre !

Règne : Animalia
Embranchement : Arthropoda
Classe : Insecta
Super Ordre : Endopterygota (on peut s’en passer)
Ordre : Lepidoptera (nous, on commence là !)
Famille : Arctiidae
Genre : Euplagia
Nom : Euplagia Quadripunctaria

On se croirait à l’épisode du miroir dans l’émission du dimanche matin Thé ou Café à sept heures de Catherine Ceillac ! Mais c’est la bonne manière de décliner l’identité de quelqu’un !

Donc, nous sommes dans la famille des Arctiidae ! et des écailles, ce qui coule de source s’agissant de papillons ! des papillons de nuit ravissants, les couleurs les plus riches ; l’imagination la plus déliée ; ils adorent la lumière du soir et les lampes. Eh bien on les distingue par leurs chenilles poilues : autrefois on les voyait traverser les routes, avant que les voitures d’aujourd’hui en les écrasant les aient fait disparaître bien sûr. Du coup, nombreux sont ceux qui les nommaient « les ourses », du latin Arctus, poilues et velues comme des ours ! Noirs, bruns, gris, rougeâtres ou jaunâtres, leurs poils ne sont pas du tout dangereux comme ceux des Processionnaires : ils se brisent moins facilement et leurs piqûres ne provoquent pas d’irritation. Dès que l’on dérange ces chenilles sur leur feuille ou leur tige nourricière, elles s’enroulent sur elles-même et se laissent tomber sur le sol, où elles simulent la mort ou s’enfuient.

voici fasciata
On connaît généralement bien l’Ourse brune, celle qui peu de temps avant sa métamorphose, se met à courir précipitamment sur les chemins de terre, les sentiers et les routes. Il s’agit de l’Ecaille Martre, et qui n’a emprisonné une chenille ainsi prête à muer dans une boite à chaussures vide, pour retrouver quelque temps après le cocon soyeux collé dans un coin, avant qu’en sorte l’adulte, avec ses ailes en triangle devant, beige marbrées de marron, cachant derrière deux postérieures orange vif ponctuées de noir ?
 
 Notre Ecaille chinée est ainsi une cousine nocturne, assez commune en France, qui a la particularité de voler également le jour. Les italiens disent qu’elle est univoltine (un mot que vous ignoriez assurément : il n'y a qu'une seule génération par an).

Elle possède des ailes antérieures noires avec des zébrures blanches ou crème. Les ailes postérieures, rouge-orange présentent les fameuses quatre taches noires. L'abdomen de l'écaille chinée, également rouge orangé, présente une ligne de points noirs et son extrémité est rayée de noir et de blanc. L’explication : des couleurs d'alerte et voyantes contrastées, montrant à d'éventuels prédateurs que l'insecte a un goût désagréable ou toxique. Une première stratégie : le mimétisme avec les ailes antérieures, vert-bronze quasi noir avec des rayures blanches. Et une seconde stratégie : le flash rouge des ailes rouges postérieures, qui provoque une explosion de couleurs lorsque le papillons prend son envol, juste comme un flash de photographe ! Et quand l’insecte se pose sur une souche ou une roche, les couleurs ternes du camouflage antérieur font disparaître l’insecte subitement à la vue du chasseur !
 


L'imago (adulte) est visible du mois de juin/juillet jusqu'au mois de septembre. L'écaille chinée fréquente les broussailles, les versants secs des coteaux, les lisières des forêts, les bois clairs, les jardins.

On peut l'observer sur l'eupatoire à feuilles de chanvre ( Eupatorium cannabinum), l'épilobe en épi (Epilobium angustifolium) ainsi que sur diverses autres fleurs.

La chenille est noire, avec une large bande jaune sur le dos ainsi que des taches claires sur les côtés. C'est une chenille polyphage, très velue, qui affectionne les chardons, lamiers, ronces, chèvrefeuilles, genets, orties...


En Angleterre elle s'appelle : Jersey Tiger, et en Allemagne : Spanische Fahne ou Spanische Flagge. Vous voyez : un étendart flamboyant ! Et viva l’espana !

C’est à l'ouest de l'île de Rhodes, à environ 5 kilomètres de la ville de Toulouse, que se situe la célèbre vallée des papillons. La vallée est traversée par la rivière Pelekanon qui coule toute l'année en assurant la vallée d'un microclimat très spécial pour Rhodes: frais et humide, même pendant les mois d'été torride.

Ces conditions idéales déterminent un phénomène, unique en son genre, la concentration en Juillet et Août de millions de papillons de l’espèce Panax. L’explication vient des conditions de biotopes extrêmement favorables, température et hygrométrie élevées, ombre sous les arbres, qui protègent les papillons en été, pendant une période où sinon ils ne pourraient survivre avec une température dépassant 40°. Le papillon ne se nourrit pas,  vivant sur ses réserves de graisse accumulées pendant les stades juvéniles sous forme de chenille.

L’accouplement a lieu entre la fin août et le début septembre, où les œufs sont pondus. Les chenilles se développent pendant la saison des pluies, et mangent tout l’hiver.

On comprend que les milliers de touristes adorant faire peur aux papillons pour les voir s’envoler, comme ils le font avec les flamant-roses en Camargue, constituent une menace expliquant la baisse régulière des populations.


Il n’est pas besoin d’aller si loin : on ignore pourquoi ; mais dans les forêts des Côtes d’Armor pas si loin de Saint-Malo, vit une variété dont les ailes postérieures sont carrément jaunes, pas du tout rouges. Fervents bretons, nous  allons les saluer tous les ans bien sûr. On n’en finit pas avec la variabilité des papillons !

La beauté de l’Ecaille chinée a attiré les peintres depuis toujours : c’est elle que l’on voit sur nombre de natures mortes flamandes. Piero di Cosimo la représente vers 1490 sur la jambe droite de Vénus, du tableau « Venus, Mars et l’Amour[1] ». Quant à Lalique, inspiré par les libellules et admirateur de leurs ocelles, il lui suffisait de reproduire la nature en créant une broche-écaille-chinée pour obtenir un bijou singulier.


Un bijou presque aussi beau que l’original, mais sans l’effet flash du papillon qui s’envole,
(mais la belle qui la porte peut vous fait flasher en jouant de la prunelle)   !

La nature peut donc nous inspirer ?

C’est ce qu’affichent en tous cas les agronomes dans leur devise [2] :
« Imiter la nature et hâter son œuvre »
pleine de modestie n’est-ce-pas !



[1] Berlin, Staatliche Museen 72x182cm, huile sur bois
[2] l’auteur est Ingénieur Agronome de l’Institut National Agronomique rue Claude Bernard Paris. Il se recommande de son ancien collègue René Dubos (1901-1982) , l’un des premiers écologues français, co-rédacteur avec Barbara Ward du premier Sommet de la Terre des Nations Unies à Stockholm en 1972 avec pour titre : « Nous n’avons qu’une terre ». Vous ne la trouvez pas belle cette devise écolo ?