lundi 3 janvier 2011

Machaon


Voilà ma boite Blanchard, avec des papillons d'élevage de Montpezat de Quercy, quand nous louions le gîte créé par nos amis Réveille. Il y avait sur le calcaire des massifs de fenouil sauvage énormes, et les chenilles étaient gavées de feuillage, d'où la grosseur des imagos. On voit les mâles un peu plus petits que les femelles à gauche. Quelques photos d'élevage des chenilles. Et deux hybrides produits par les croisements de Robert Blanchard entre les machaon américains noirs et les nôtres. Le résultat était des métis et l'on distingue bien les sexes à leur taille.

Depuis 2007, j'ai replanté des fenouils, et il peut arriver que l'on ne voie pas voler une femelle, et que pourtant on trouve deux ou trois petites chenilles, qu'on va protéger pour qu'elles aillent à maturité. En ce moment même, Marine conserve quelques chrysalides au froid, pour les voir éclore au printemps 2011.


Voici maintenant l'histoire de Machaon


Papilio Machaon, le machaon

Vous aviez déjà remarqué qu’ici on parle latin ! A l’époque où il n’y avait pas encore de télé, les chercheurs et scientifiques observaient la nature, et tentaient de classifier tout ce qu’ils découvraient. Pour se parler d’un bout à l’autre de l’Europe, ils avaient décidé d’utiliser la langue latine, pour les mêmes raisons que l’Eglise apostolique, romaine et universelle. Vous me direz qu’aujourd’hui on parle tous anglais. Nous y serons attentifs.
On peut retenir que la date pivot est 1735 avec la publication à Leyde de Systema Naturae, de Caroli Linnaei (vous vous souvenez du génitif ?) autrement dit Carol Linné. De là découle l’acronyme ésotérique : E.G.F.O.C.E.R, qui donne la structure de tout classement biologique : Espèce ; Genre ; Famille ; Ordre ; Classe ; Embranchement, et  Règne. À titre d'exemple, pour l'espèce humaine (Homo sapiens) :
 → règne animal → embranchement des vertébrés → classe des mammifères → ordre des primates → famille des hominidés → genre Homo → espèce Homo sapiens

Nous allons donc parler un peu latin, mais à très petites doses rassurez vous !

Le premier de nos papillons va être Papilio Machaon. Papilio c’est le nom de famille, car nous sommes déjà dans l’embranchement des invertébrés ; dans la classe des insectes ; l’ordre des lépidoptères ;  les Papilio forment une famille connue mondialement pour les grandes queues qui ornent les ailes postérieures. Le genre Machaon n’échappe pas à cette caractéristique, avec la subtilité que quand il ferme ses ailes pour goûter aux délices d’une fleur de lavande par exemple, les postérieures laissent apercevoir le corps car manque la dernière nervure. Familièrement, car tout le monde ne parle pas latin, on l’appelle « le  porte-queue ».

Pourquoi les naturalistes lui ont donné le nom de Machaon, celui du médecin d’Alexandre de Macédoine, je l’ignore ! Nous n’avons pas fini de trouver en permanence en entomologie une allusion systématique à la mythologie. Ce qui est amusant, est que Machaon régna avec son frère Podalirios sur trois villes thessaliennes. Prétendant d'Hélène, il prit part contre l'expédition contre Troie, et, ayant reçu de son père le précieux don de guérir les blessures même les plus graves, il se mit au service des héros. Il soigna Ménélas, blessé par une flèche de Pandaros, et Philoctète, rongé par une plaie faite dix ans plus tôt par une flèche d'Héraclès. Il fut enfin un de ceux qui s'introduisirent dans les flancs de cheval de Troie.

En entomologie, Machaon a bien un frère grand porte-queue lui aussi, qui est Podalirius, le flambé, dont la chenille vit sur le prunellier.

 L’espèce, c’est la française classique, mais si vous allez au Maroc par exemple, vous risquez de tomber sur Papilio Machaon Saharae, qui a plein de petites différences avec le nôtre. On ne va pas entrer dans ces subtilités, qui passionnent cependant les collectionneurs, avides des différences d’évolution observées par Darwin, et qui fleurissent dans tous les papillons des îles, chacune ayant son espèce et parfois sa sous-espèce ! Le découvreur ajoute ainsi son propre nom, et peut sans avoir fait la guerre, ou avoir écrit un livre, devenir immortel et passer ainsi à la postérité !

Vous me direz qu’aujourd’hui on parle tous anglais. Eh bien en Grande Bretagne, on dit aussi Papilio Machaon et il ressemble au nôtre comme une goutte d’eau. Mais on le nomme familièrement Swallowtail qui se traduit mot à mot par « queue d’hirondelle ». Comme chez nous, sa chenille vit sur Daucus carota, qui est là-bas « wild carrot ». Elle est magnifique avec sa robe vert-persil, barrée de raies noires latérales, elles-même ponctuées de points rouges. Je vous le disais : dans un bouquet de fenouils, elle est invisible ! Si on la trouve toutefois, et si on la dérange, elle se recroqueville et laisse apparaître au-dessus du nez un petit Y orange, qui dégage une odeur nauséabonde. Réflexe d’éloignement de l’intrus par jet de boule puante !

le paradis des papillons se situe en Hongrie où a été prise cette vue incroyable !
Cultivez quelques plants de fenouils au soleil de votre jardin. Je dis cela pour ceux qui habitent le sud. Mais au nord vous pouvez vous contenter de carottes, ou de persil : qui sait si une femelle ne pondra pas quelques œufs, proches des fleurs. Si vous avez l’œil avisé, vous verrez l’œuf grosseur un millimètre. Il devient gris, et en sort un tout petit bout de chenille toute noire. Interdit de l’écraser ! Peu à peu, elle grossira, et changera de peau. Notons qu’elle déambule sur la tige, à la recherche des pousses neuves, comme le ferait un engin à …chenilles... Les anglais (qui ont le sens de l’humour) disent d’ailleurs : caterpillar !

 Of course !

Ce qui est étonnant quand elle mue pour la dernière fois pour se transformer en chrysalide, c’est qu’elle attache d’abord son extrémité à une tige par un petit coussinet de soie. Les spécialistes parlent à ce propos d’apex. Puis elle s’enroule dans une boucle, comme pour s’encorder afin de ne pas tomber ! Dernier tour de magie : elle jette sa dernière peau de chenille froissée, et apparaît subitement transformée  en chrysalide : d’un seul coup, on devine par transparence la forme des petites ailes du futur papillon ; le tout est de la couleur du support, toujours pour se camoufler des prédateurs.

ça s'est passé à 5go !

Si ce miracle s’est passé fin juin, l’éclosion aura lieu un mois plus tard en juillet, et la femelle pondra à nouveau fin du mois. On suppose bien entendu qu’elle aura rencontré l’âme sœur, qu’ils auront convolé, que le monsieur sera parti vaquer à ses occupations, et que madame cherchera à créer une descendance… Les chrysalides résultant de cette deuxième génération passeront l’hiver, et l’adulte naîtra au printemps suivant.


Dans cette affaire, le rôle des carottes est déterminant. Il vaut mieux qu’elles ne soient pas imbibées d’insecticides, sinon la nourriture est devenue poison. Voilà une raison de plus de cultiver un jardin biologique, et de ne pas pulvériser de pesticides à mauvais escient, en épargnant les ombellifères !