mardi 29 mars 2011

Gonepteryx cleopatra

Pressé comme un citron
Sauf en Provence !


Gonepteryx ça vous rappelle des souvenirs ? Apteryx par exemple. Non, pas Astérix, ça ne s’écrit pas pareil ! C’est grâce à ce fil conducteur de l’oiseau fossile, que j’ai fini par me souvenir que pteryx désignait les ailes en grec. Quant à gone, il suffit d’avoir quelques notions de géométrie, ou encore de réfléchir à nos racines gauloises, pour évidemment penser à l’hexagone. Les Gones, ce sont les gosses de la colline de la Croix Rousse à Lyon. Mais ce sont aussi les angles, ou encore les coins d’une figure en géométrie. Il y a donc des papillons qui ont une forme géométrique ? C’est le cas du citron, à cause de sa couleur citron, la boisson que l’on obtient en pressant le fruit acidulé. En pratique, il a des pointes caractéristiques aux ailes, et là encore les dessinateurs de l’au-delà ont joué à découper des « festons-gones », en partant d’une feuille de papier de forme rectangulaire. On s’en rend compte quand notre papillon est étalé réglementairement dans notre collection. C’est donc le papillon « dont les ailes-ont-des-coins ».

Le nerprun alaterne (Rhamnus alaternus L.), mais comme d’habitude il y a plein d’autres Rhamni (j’utilise i cette fois pour le pluriel, un rhamnus ; des rhamni) est un arbrisseau caractéristique des garrigues méditerranéennes. C'est l'un des divers représentants du genre Rhamnus, appartenant à la famille des Rhamnacées. Ses minuscules fleurs jaunâtres, dioïques, apparaissent au mois de mars, parfois avant. Ses fruits sont des baies d'abord rouges, puis noires à maturité.

Le nom vernaculaire « nerprun » correspond au latin populaire niger prunus, « prunier noir », évoquant la couleur des baies. D'étymologie obscure, le qualificatif alaternus désignait déjà la plante en latin, tout comme Rhamnus, d'origine grecque.

Gonepteryx rhamni, vous voyez, notre très "classique" papillon citron, si facilement observable dans les jardins, est donc une figure géométrique ailée, vivant sur les rhamnos (le génitif pluriel). Je l’aime beaucoup car comme beaucoup d’humains, et donc de fonctionnaires, il manifeste un tropisme marqué pour la Riviera.  Il y a comme ça des papillons qui vivent au nord de la Loire. Et puis il y en a d’autres, partant du même modèle, qui préfèrent le midi. Pourquoi sont-ils plus colorés ? Je l’ignore mais vous observerez que plus on va vers l’Equateur, plus les couleurs de nos insectes deviennent éclatantes. C’est le cas de notre citron, puisqu’à côté du modèle chti, blanc couleur frimas, il existe sa variante marseillaise ou niçoise, jaune orangé, couleur soleil. Comme l’aurore chti et l’aurore de provence. Qui sont l’une blanche ; l’autre d’un beau jaune.

 Il y a donc un citron du nord, et un citron du sud. Ce papillon justifie donc la mobilité des fonctionnaires du nord, pour choisir de vivre définitivement au sud où vivent les deux espèces (de citrons). C’est la solution  que nous avons décidé de retenir, car entre la cuisine au beurre et celle à l’huile, la seconde présente des avantages : vivre dehors, nager dans la piscine tout l’été, et boire du pastis, en profitant du french paradox. Car il est conseillé pour la santé d’assaisonner la salade avec de l’huile d’olive, de manger beaucoup de tomates au pistou avec de l’ail, et de griller des mérous sur le barbe-cue. Ce qui explique le nombre d’anglais qui depuis des temps immémoriaux choisissent de "promenader" à Nice et dans toute la Riviera. Et d’y boire toujours davantage le rosé frais de Provence.


Notre citron est le messager du printemps, et, dès la sortie de l'hiver, il est l'un des premiers à montrer le bout de ses ailes. C’est un des papillons les plus communs et les plus faciles à observer. On le reconnaît grâce à sa face supérieure jaune citron chez le mâle, ou vert pâle pour la femelle, avec un point orange au centre de chaque aile, quelque soit le sexe.

Posé sur une fleur, il a toujours les ailes refermées ce qui lui permet de se confondre avec la végétation et de passer inaperçu des prédateurs. Cette posture est d'autant plus efficace que la couleur des ailes et les nervures augmentent encore sa ressemblance avec une feuille.

Avec une espérance de vie supérieure à un an, le citron fait partie des papillons européens ayant la plus longue existence. Réfugié au sein de plantes à feuillage persistant (généralement du lierre), les ailes repliées, il est l’un des rares papillons hivernant à l'état adulte et le seul, dans nos contrées, à le faire en plein air (les autres lépidoptères, hivernant adulte, cherchant un abri sous un toit, dans un trou d'arbre ou une grotte). Cette caractéristique explique probablement son hibernation "légère", puisqu'il peut se réveiller n'importe quand si la température est clémente. Ainsi, il n'est pas rare de le voir faire son retour très tôt au printemps, parfois même avant qu'aucune fleur ne soit ouverte.

La femelle pond une fois par an, à partir du mois d'avril. Les œufs sont de couleur jaune/vert crème et de forme fuselée. Après l'accouplement, ils sont fixés isolément sous les jeunes feuilles de la plante hôte.

La chenille est verte, rayée de blanc sur les côtés, et comme celle des piérides se confond parfaitement avec le support de sa plante hôte.


En l’an 48 avant Jésus-Christ,  Jules César tombe amoureux de Cléopâtre, lui fait un fils et la rétablit sur son trône d'Égypte. Quatre ans plus tard, après l'assassinat de Jules César, c'est au tour de Marc Antoine de tomber amoureux de la belle. Cléopâtre (Cleopatra) est un film américain réalisé par Joseph L. Mankiewicz et sorti en 1963. C'est le film de tous les superlatifs : un monument de quatre heures, au tournage titanesque et rocambolesque, qui mit son studio au bord de la faillite, avec moyens énormes, distribution de têtes d'affiches, et caprices d’Elisabeth Taylor, qui prête difficilement son joli nez à la véritable reine.

Cléopâtre VII Théa Philopator (en grec, Κλεοπάτρα Φιλοπάτωρ) gouverne son pays entre -51 et -30, successivement avec ses frères et époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV puis avec le général romain Marc Antoine. Elle est connue pour ses relations successives avec Jules César et Marc Antoine sur le plan politique (et amoureux). Et pour son nez bien sûr.

Il est difficile de cerner la véritable personnalité de Cléopâtre, qu'un certain romantisme a contribué à déformer, mais elle possède à l'évidence beaucoup de courage et se révèle suffisamment puissante pour inquiéter les Romains. Aucune source sûre ne vient nous éclairer sur son aspect physique qui échappe apparemment à un classement esthétique banal. Le buste de Cherchell à l’Altes Museum de Berlin réalisé bien après sa mort, à l'occasion du mariage de sa fille, Cléopâtre Séléné, avec le roi Juba II de Maurétanie, est certainement idéalisé, puisqu’il a sculpté de mémoire si l’on peut dire, le modèle étant défunt quelques milliers d’années auparavant. Certains auteurs antiques insistent sur sa beauté presque divine. Les quelques pièces de monnaies donnent l'image d'une femme aux traits lourds et au nez assez proéminent. Nous savons qu'elle a une présence forte et du charme, qu'elle dégage une puissante séduction et que cela est complété par une voix ensorcelante ainsi qu'un esprit brillant et cultivé. Le nez stricto sensu, vous voyez, n’est peut-être pas si harmonieux que l’on imagine. La peau est merveilleusement douce, ointe qu’elle est du lait d’ânesse dans lequel se baigne la reine. On trouve du lait d’ânesse dans une ânerie de la banlieue de Toulouse, et Anne qui se baigne régulièrement (dans ce lait), en ressort avec une peau digne de Vénus. Je suis à même d’attester de tactu les vertus de ce genre de soins pour la peau (d’Anne).



Cléopâtre brille surtout par l’esprit : alors que l'éducation des filles, même de familles royales, est négligée dans le monde grec ou hellénistique, Cléopâtre bénéficie apparemment de l'enseignement de pédagogues cultivés. Plutarque insiste sur ses qualités intellectuelles. C'est ainsi que Cléopâtre, véritable polyglotte parle, outre le grec, l'égyptien (elle est reine d’Egypte ça vaut mieux) mais aussi  l'araméen, l'éthiopien, le mède, l'arabe, sans doute aussi l'hébreu ainsi que la langue des Troglodytes, un peuple vivant au Sud de la Libye. De tels dons ne la laissent sans doute pas longtemps démunie face au latin, encore que des Romains aussi cultivés que César parlent un grec parfait.


Il faut bien qu’avec de telles qualités notre citron de Provence soit plus beau que son cousin normal. En effet, il porte sur ses ailes antérieures un placard supplémentaire d’un bel orange qui le rend beaucoup plus voyant. Paradoxe, c’est le mâle qui tel César porte ces atours supplémentaires, alors que la belle Cléopâtre, elle, ressemble comme une goutte d’eau à la citronne commune. Quant au nez, ne le cherchez pas, il est en effet très spécial….

… c’est une trompe !

Je vous sens décontenancé, à la fin de cette petite histoire de Citron, dont le prétexte a été d’évoquer la belle Cléopâtre. Ce n’est pas ma faute si Linné, une fois encore, a choisi une référence illustre pour nommer un simple insecte ! Vous vous dites cependant, puisque j’illustre mes petits textes par des photos évocatrices, que j’aurais pu me fendre d’une représentation quelconque, destinée à vous émouvoir en vous montrant le portrait de la célèbre Reine ?


Je pense bien, n’est-ce pas, je vous connais un peu, vous réagissez comme moi  ?

 Rassurez vous, et je me dis en sus que ce serait bien si je vous montrais davantage les métamorphoses de mes amis papillons, puisque c’est l’un de leurs prodiges, que de sortir périodiquement de leur enveloppe passée, pour changer de formes et se régénérer en êtres d’essence toujours plus aboutie.


                                  Eh bien voici la chenille de Gonepteryx Cleopatra   au dernier stade.


Profitez en bien, vous ne la verrez sous cette forme dans aucun traité sérieux d’entomologie.



                                                        C’est une forme mutante, extrêmement rare,



                                                              Et je crois que moi seul l’ai jamais vue !