mercredi 2 mars 2011

les métis de Blanchard

36 ans plus tard :
Les hybrides Machaon-Asterias de R.Blanchard

Notre époque est extraordinaire : l’avancée de la technologie est telle qu’on nous propose des appareils, dont on n’aurait jamais osé imaginer l’existence !

Exemple : j’ai comme chacun des gens de mon âge, une collection de diapositives soigneusement rangées, après plusieurs déménagements successifs au cours des quarante dernières années. Une fois par an ou moins encore, profitant de la présence des petits-enfants, on ressort l’écran replié (et coincé) dans sa carcasse de fer. Le projecteur en espérant que la mise au point automatique n’a pas été abimée par l’humidité (ça y est : l’ampoule éclate dès la mise en route !). Il faut acheter (en Allemagne) un projecteur d’occasion pour, avec le même modèle quand on l’a déniché, en remonter un entier qui fonctionne. On recherche les diapo qui peuvent intéresser les ados : celle de leur parents au même âge. Mais évidemment, ce sont justement celles-là que l’on cherche partout : où sont-elles bien rangées …. ?
 le flacon de pamplemousse à la main, déjà on pose sur un piedestal.
Tel père, tels fils...
Et bien Darty, oui Darty, vient de me délivrer de ces angoisses : il vend un scanner qui non seulement photocopie des feuilles A4, mais scanne les diapositives ! Oh c’est toute une aventure : il faut bien entendu disposer des diapos. Il faut mettre un cache sur la vitre. Y poser (endroit ou envers ?) les diapo quatre par quatre. Actionner la commande numérique. Et attendre que Darty vous sorte une à une vos photos après maints clics, soupirs, et bruits bizarres. Et puis il faut démonter les diapo, quatre à la fois, en remettre quatre, ranger les scannées, et recommencer.

Mais ce qui est extraordinaire, c’est que transformées en numérique au format .jpg, on peut (je répète que cela se passe quarante ans après) recadrer des images autrefois décalées ; tripoter la luminosité ; le contraste ; même la couleur ; redresser les images pas verticales grâce à photoshop degré par degré….donc magnifier les images d’autrefois.

C’est le même principe que le thème favori des bouquins de science-fiction : on est atteint d’une grave maladie. On se fait congeler. Et quand plus tard (quarante ans après) la science sait guérir la dite maladie, on vous décongèle et vous guérit. Et bien mes diapos viennent de vivre cette guérison.

Et je redécouvre mes vieilles photos de papillons. Et des photos de biotopes disparus forcément à cause de l’évolution. Et comme je lis en ce moment « l’extravagante aventure des chasseurs de papillons » de Dany Lartigue (la maison des papillons, ville de Saint-Tropez) que j’ai acheté fin 2010 chez Deyrolles, je puis participer aux récits de Dany en revivant mes propres aventures !

Je retrouve les dates facilement, puisque à l’époque Kodak inscrivait en creux dans le carton la date de tirage des diapos. Nous sommes donc en juillet 1975. C’est l’été, et Robert Blanchard élève ses Machaons de la première génération sur ses ombelles de fenouil, dans son laboratoire personnel de Cahors. C’est la dernière année de notre vie à Montauban, avant qu’à la fin de l’année je postule pour Arles que je rejoindrai en mars 1976. Robert Blanchard a une âme de scientifique, et, professeur de mathématiques, adore jouer avec les lois de Mendel quand il fait des croisements entre espèces. Il a j’ignore comment réussi à se faire envoyer des chrysalides du Machaon américain, Papilio polyxenes asterias, autrement dit le black swallowtail, le « queue d’hirondelles noir ». Et il l’élève à Cahors. Il a bien des soucis, car j’ignore la biologie précise de cet immigrant. Mais je me souviens très bien qu’il aime la citronnelle, et que Blanchard n’a d’autre solution que de pulvériser de la liqueur de citron sur ses feuilles de fenouil. Et que notre américain s’en satisfait, et que ses chenilles (qui ressemblent à celles de notre Machaon) mangent très correctement.


Le but est de mener en parallèle un élevage conventionnel de Machaon européen (on pourrait même préciser lotois). Et d’appareiller des mâles américains avec des femelles lotoises. Et vice et versa. Le but étant de voir la tête des métis de l’automne pour la seconde génération de 1976. Puis en croisant un mâle dit F1 du printemps 1977, avec une femelle également F1 pour créer F2 et ainsi de suite. Les papillons volent dans de grandes cages ensoleillées, et l’attraction des dames agit sur les messieurs. Ma fois il s’agit bien de la même espèce puisque la fécondation a lieu, que les femelles pondent et que des chenilles hybrides en sortent, mangeant leur fenouil toujours plus ou moins citronné. Il s’agit bien d’un métissage, et d’observer comment le noir de l’américain s’accommode du jaune européen, et se dilue ou pas dans le temps, à moins que l’une ou l’autre des couleurs se superpose, marquant un éventuel caractère dominant ou récessif pourquoi pas ? ? Tout cela est très sérieux car évidemment on pense aux humains dans cette aventure, et jouer avec la génétique à une époque où on ne pense même pas aux Organismes génétiquement Modifiés est déjà précurseur. Noir supérieur au jaune ; jaune supérieur au noir ?  ou égal ? that is the question !

Justement nous sommes au début de cette expérience et voici les photos retrouvées. Le noir et le jaune se sont répartis avec symétrie, la nature a refusé de départager les parties.  Le résultat est magnifique (pour les humains que nous sommes) : tous égaux ! tous ensemble comme dans les manifs altermondialistes. Merci les papillons ! !





Mais il y a une suite : Papillon est un film américain réalisé par Franklin J. Schaffner, sorti en 1973 avec les acteurs Steve McQueen et Dustin Hoffman. Ce film est une adaptation du roman autobiographique Papillon d'Henri Charrière. Il semble néanmoins que Charrière se soit attribué les anecdotes et les péripéties de différents bagnards dont Charles Brunier.

Ainsi, le film raconte les péripéties et les tentatives d'évasions du bagne de Cayenne d'un détenu surnommé "Papillon".

Papillon a été condamné au bagne pour un meurtre dont il est innocent. Au début surtout, le film dénonce l'erreur judiciaire et les conditions inhumaines du bagne, les châtiments qui y sont appliqués. Ensuite, c'est surtout l'aventure qui domine, avec de spectaculaires évasions. Certaines scènes renvoient à la thématique de la tragédie de l'Homme face à ses propres conditions. Le sens de la vie pour un détenu innocent devient l'obsession d'une évasion aventurière.

Ceci est la transcription de wikipedia, reprise telle quelle, mais il y manque l’essentiel. Il faut en effet que je cite un breton extraordinaire : Eugène le Moult. Nous sommes dans les années 1910, et le bagne de Cayenne est en plein fonctionnement (fondé en 1852, il fermera en 1946) Eugène Le Moult, né le 31 décembre 1882 à Quimper, est devenu naturaliste. Il vit en Guyane où il finit par devenir adjoint au directeur du bagne. Il a une idée géniale : faire chasser les morphos par les bagnards. Cela les occupe, eux, et lui permet à lui de découvrir de nouvelles espèces. Plus tard, rentré en France, il recevra ainsi des quantités d’exemplaires de papillons qui alimenteront son cabinet d’entomologie, lui permettant d’exercer une activité de marchand très lucrative rue Duméril à Paris. Il publie plusieurs ouvrages dont Mes Chasses aux Papillons (1955) où il relate ses activités en Guyane et Les Morphos d'Amérique du Sud et Centrale (1962-1963), en collaboration avec Pierre Réal. Mais surtout il va publier une édition française de l'ouvrage d'Adalbert Seitz (1860-1938) sous le titre Les Macrolépidoptères du globe en 16 volumes et 4 suppléments.

On devine que les bagnard ne manquent pas d’idées ! Ils ont compris que les (riches) collectionneurs européens achètent leurs morphos comme des bijoux, et que plus le papillon est rare, plus il vaudra cher ! Or le maximum de rareté d’un papillon est un organisme modifié, par exemple un gynandromorphe, mâle d’un côté, et femelle de l’autre ! On sait maintenant qu’on possède tous un côté masculin, et un autre féminin. Ce genre de monstre existe dans la nature, mais est évidemment rarissime.

Et dans le livre papillon, on sait que Papillon fabrique un gynandromorphe de morpho, un mâle aux ailes bleu métallique d’un côté. Et une demi-femelle de l’autre. On sait que les femelles de Morpho sont plus grandes que le mâle, d’un brun mat. Et que la juxtaposition des deux côtés est ex-tra-ordi-naire. Et que le bagnard Papillon, ne trouve en réalité pas un vrai gynandromorphe, mais le fabrique en collant deux moitiés l’une à l’autre. Cela ne doit pas échapper à un vrai scientifique muni d’une grosse loupe binoculaire comme le Moult, mais on peut toujours essayer auprès d’un richissime client (un peu myope) !

Robert Blanchard poursuit ses travaux à Cahors, et vit l’aventure entomologique de sa vie sur place, vaporisateur de citronnelle à la main. Ses américains ont pris la nationalité lotoise, et ses lotois ne pensent qu’au badinage, émoustillés par le métissage avec leurs cousins retrouvés, et prêts à s’essayer au noir. Les générations se succèdent, et la nature sourit dans sa barbe, toujours prête à un bon canular. Les gênes se démultiplient, et de temps en temps, la nature foire, toujours prête à tenter une (r)évolution. Dans cette histoire entre jaune et noir, où Robert a fait jouer la liberté (d'entreprendre), puis la fraternité (franco-américaine), elle a jusque là soigneusement entretenu l’égalité, et puis elle se prend les pieds dans le tapis, et coince à force de trop vouloir bien faire.

Et un matin, Robert se lève, observe une chrysalide en train d’éclore. Il en sort un individu extraordinaire : ce que Papillon avait tenté, la nature le réalise : le gynandromorphe parfait, intact, tout frais. Mais mieux, il est si l’on peut dire au deuxième degré.

En voici la photo retrouvée, aussi nette que le papillon lui-même. Il est merveilleusement symétrique, noir américain à gauche ; jaune européen à droite. Première anomalie.

Et il est femelle à gauche ; et mâle à droite. Un vrai gynandromorphe. Seconde particularité.




Trente six ans plus tard, merci Darty !

j'ai récupéré quelques autres merveilles, et vais les incorporer peu à peu à mes petites histoires...