lundi 28 mars 2011

Scolitantides orion

La constellation d’un chasseur…
…né d’une simple peau de vache

Par les belles nuits de juin, nous nous sommes donc préparés à une belle chasse de nuit. C’est une activité totalement prostrée, je vous rassure, et elle se pratique allongé sur une chaise longue. C’est à cette seule condition que j’ai pu concevoir de ne pas me coucher, puisque je vous ai dit que je dors la nuit.

Sur la face sud de la grange de Montpezat-de-Quercy, dans ce beau paysage sur roches calcaires, pas loin du Causse, il y a des chênes pubescents à poils courts, des vergers de rosacées. Et des tas de prairies sèches. Le jour plein de papillons dont les chenilles trouvent largement de quoi se nourrir. Donc il doit y avoir des papillons de nuit.

Pour préparer une chasse de nuit, il faut absolument un bâton mais le mieux est une longue tringle à rideaux de bois, tant pis, s’il faut investir un peu ; ensuite il faut absolument que votre chère conjointe accepte de sacrifier dans le trousseau de mariage qui accompagnait nos noces un drap peu importe qu’il soit ancien, mais il doit faire l’équivalent d’un bel écran de cinéma ; d’ailleurs on pourra l’utiliser une autre fois pour projeter des diapositives. Vous constatez que nous sommes dans une période reculée, vu que personne ne pratique plus cette activité courante dans les années soixante-dix, mais disparue depuis au profit de l’écran du téléviseur. C’est vraiment dommage car il est absolument impossible de chasser les papillons de nuit avec une télé. Durant le jour, vous punaisez avec des pointes spéciales noires qu’on n’utilise plus aujourd’hui non plus, le drap sur la tringle, comme ça vous pouvez rouler le drap, et créer une quasi voile ; si cet exercice se passait au bord de la mer, vous pourriez armer votre voilier de ce propulseur, et vous trouveriez ainsi une troisième utilisation à notre engin. On est véritablement dans une civilisation antérieure à la nôtre du XXIè siècle, où l’on économise les matériaux, et ne gaspille rien. Une ficelle accrochée sur la tringle, et notre écran peut être accroché à une pointe enfoncée au marteau dans le mur qui en a vu d’autres : dessus un arrière-arrière grand-père agriculteur faisait sécher des feuilles de tabac, et il reste même des pointes toute rouillées mais encore solides qui vous économiseront, si vous avez de la chance, une pointe neuve.

L’écran construit, il vous faut une lampe à vapeur de mercure ; à la grande époque des chasses au papillon en Afrique, les spécialistes vendaient des lampes à pétrole adaptées qui créaient une vive lumière. Dans les années soixante dix, on trouvait couramment des tubes fluorescents ultra-violets, qui faisaient parfaitement l’affaire. Le tube devait être accroché à un autre clou, raccordé à une prise électrique avec une longue rallonge, et notre écran devenait bleu.

Une fois terminés ces préparatifs harassants, on pouvait déployer la chaise-longue, et se vautrer dedans, la tête tournée vers les étoiles. La voie lactée. Lou camin de San Jacques en occitan qui mène à Compostelle. Et la grande réflexion pascalienne qui vous tombe dessus (heureusement que nous sommes vautrés, on ne s’en remettrait pas : « que sommes-nous donc petits dans l’immensité de cet univers éclairé comme mille autoroutes belges » !

Les papillons n’arrivent pas si vite que ça, et on a du temps pour faire autre chose !


Le jeu consiste alors à identifier les étoiles. Impossible de voir l’étoile polaire puisqu’on regarde le sud. Et le premier repère c’est Orion.


Orion, le Chasseur, est une constellation. Situées quasiment sur l'équateur céleste, ses nombreuses étoiles brillantes sont visibles partout dans le monde.

Avec autant d'étoiles brillantes facilement visibles de par le Globe, Orion est peut-être la constellation la plus ancienne et de nombreuses civilisations ont fantasmé dessus, quoique sous des images différentes. Les sumériens y voyaient un mouton. Les égyptiens la considéraient comme une offrande à Osiris, dieu de la Mort. En Chine, Orion est l'une des 28 Xiu du Zodiaque chinois traditionnel et est connue sous le nom de Shen, qui signifie littéralement « trois », en référence aux trois étoiles du Baudrier. Pour les mayas, elle représentait un dieu.

Orion était mentionnée sous cette dénomination dans l' Odyssée d'Homère, les Odes d'Horace, les Phénomènes d'Aratus de Soles et l' Énéide de Virgile. Elle était bien entendu répertoriée parmi les 48 constellations de l'Almageste de Ptolémée.

Orion est aussi citée dans la Bible, dans les livres de Job et d'Amos.

Pour la mythologie grecque, elle représente Orion, un chasseur légendaire qui se vantait de pouvoir tuer n'importe quel animal. D’après la légende, il fut tué par le Scorpion, qui a été placé à l'opposé de la voûte céleste par les dieux qui les ont ainsi séparés afin qu'ils ne soient jamais au-dessus de l'horizon en même temps.

Orion fait partie des rares constellations immédiatement reconnaissables par leur forme. Les quatre étoiles les plus brillantes forment un rectangle très caractéristique, et les trois "rois mages" qui en forment le centre sont une signature facilement identifiable.

Le corps d'Orion est facilement visible, marqué par quatre étoiles brillantes qui sont : Rigel, Saiph, Bételgeuse et Bellatrix. Les deux plus brillantes, Rigel et Bételgeuse, occupent respectivement les coins Sud-Ouest et Nord-Est. Ces deux étoiles sont nettement colorées, Bételgeuse est rouge et Rigel est bleue.

Au centre du corps, trois étoiles  forment un astérisme immédiatement reconnaissable puisque doublement remarquable : les étoiles sont quasi parfaitement alignées et équidistantes ; en outre, leurs magnitudes sont assez voisines. Alnitak, Mintaka et Alnilam sont appelées également « les trois rois » ou « les trois mages » et constituent à elles trois la ceinture ou le baudrier d'Orion. Sous cet alignement, un autre alignement Nord-Sud, plus faible, marque l'épée d'Orion, qui se termine sur Ori. Un demi degré au nord de Ori, on trouve la fameuse nébuleuse d'Orion, visible (faiblement, et par de bonnes conditions) à l'œil nu.

L'arc d'Orion est assez facile à tracer, si les conditions sont satisfaisantes. C'est un chapelet d'étoiles dont la plus visible est sensiblement dans l'axe Bételgeuse - Bellatrix, à une dizaine de degrés plus à l'ouest. Puis on trouve la main tenant l'arc, et la massue d'Orion  beaucoup plus faible et plus difficile à tracer.

Le nom Alnitak vient de l'Arabe an-nitaq, « la ceinture ». Mintaka signifie « baudrier ». Et Alnilam signifie "rang de perles". Ces noms nous changent agréablement du grec n’est-ce pas ? On pourrait se croire au début d’un conte des Mille et une Nuits, et il ne tient qu’à nous de poursuivre le conte.

Tiens ça bouge sur le drap. Depuis le début de notre causerie, il est venu plein de petits insectes, de mouches sans intérêt ; et puis ça fait plof ! un gros papillon qui bruisse et qui se cogne : une Ecaille ! Qui c’est ? Villica ! Ah qu’elle est belle ! On l’a déjà ! on la laisse ?

Il fait nuit, on est un peu fainéant. On ne va pas se lever, chercher le filet, attraper cette Belle de Nuit, et la coller dans un bocal de cyanure quand-même ! Laissons la tranquille !




Je ne sais pas si je vais rester longtemps allongé dans ma chaise longue. J’allume ma lampe de poche, sors mon livre de mythologie grecque, et m’assois. Je suis dans l’ambiance propice, je veux tout savoir de l’histoire d’Orion, la voici :

Hyriée le fondateur de la cité d'Hyria, en Béotie, n'avait jamais connu (au sens biblique) de femme mais souhaitait néanmoins avoir un héritier. C’est l’attitude de nombreux messieurs  « paxés » de nos jours. Zeus, Hermès et Poséidon lui rendent visite dans son palais. Hyriée sacrifie en leur honneur le plus beau bœuf de son troupeau. Plus tard, il en profite pour  leur demander comment il pourrait avoir un descendant sans être  obligé de se marier, grande manifestation de sagesse au-demeurant ! Zeus acquiesce, lui fait apporter la peau du bœuf sacrifié, et il lui demande d'uriner dessus. Hyriée s'exécute, (ça il sait faire). Puis les trois dieux enterrèrent la peau dans le jardin du palais et prennent congé. Vous aurez observé que c’était une rencontre entre men only.

Neuf mois plus tard, à l'endroit où la peau avait été enterrée sort un garçon qu’ Hyriée nomme Orion. Ce nom viendrait du grec « ouria » : urine. Encore un gosse dont la psy va être esquintée avec un nom pareil, et qui va se faire ficher de lui à l’école, enfin ! Lorsqu'il  atteint l'âge adulte, ça s’arrange puisqu’il est si grand qu'il pouvait marcher au fond de la mer tout en gardant la tête et les épaules hors de l'eau.

Il épousa Sidé (grenade) qui était très belle mais aussi très fière, deux qualités parfaites pour faire une belle castratrice ! Mais il assume, au moins, il est hétéro, pas comme son père ! Sidé fut plus tard précipitée dans le Tartare par Héra à qui elle avait voulu se comparer, et qui ne tolérait aucune rivale. Elle lui donna auparavant deux filles, les Coronides, Ménippé et Métioché qui grandirent en Aonia, au pied du Mont Hélicon.

Orion comme tous les grecs dont le fameux Ulysse passe son temps en croisières en bateau. Il visite l'île de Chios. Accueilli à la cour d'Œnopion, il est donc veuf, il tombe amoureux de Mérope, la fille du roi. Œnopion cherche à se débarrasser de ce prétendant encombrant à tous les sens du terme. Il décide donc de lui promettre la main de sa fille, à condition de débarrasser Chios de tous les fauves qui s'attaquent aux hommes et aux troupeaux ! Le roi était persuadé que c’était impossible.

Mais Orion, excellent chasseur, n'a aucun mal à remplir sa mission. Lorsqu'il revient demander la main de Mérope, Œnopion refuse. Orion se fâche et saccage le palais. Il est ligoté tant bien que mal par l'armée.

Pour le punir, Œnopion lui fait crever les yeux, et l'abandonne sur le rivage. Orion marche alors droit devant lui à travers la mer jusqu'à l'île de Lemnos et est attiré par le bruit des forges d'Héphaistos qui accepte de lui prêter Cédalion, son assistant.

Le géant guidé par l'enfant rentre alors dans la mer et marche vers l'est face au soleil. Il se noie par désespoir vous avez compris ? (et Céladion aussi, ça c’est moche). C'est le sujet d'un tableau de Nicolas Poussin (1658) au Metropolitan Museum of Art de New York, tableau aussi célèbre qu'énigmatique.


Dans une autre version de la mort d'Orion, son arrogance déplait à Héra parce que comme tous les chasseurs il passe son temps à se vanter de ses prises. Pour lui donner une leçon d'humilité, elle commande à un scorpion de s'embusquer en attendant le passage du chasseur. Dissimulé par les feuillages, le scorpion patiente et le moment venu pique Orion qui meurt foudroyé par le venin de ce petit animal, lui qui avait terrassé les bêtes les plus féroces. Je suis né scorpion, et me sens personnellement concerné. Pour une fois qu’un scorpion pique un autre que lui-même ça me fait du bien.

C’est ainsi qu’il fut transformé en constellation, mais Héra n'oublia pas de porter également au ciel le scorpion qui l'avait si loyalement servie pour que le combat continue. Zeus intervint et fit en sorte qu'Orion et le Scorpion ne puissent jamais s'atteindre ; c'est pour cela que lorsqu' Orion se lève à l’Est, le Scorpion se couche à l'Ouest.

De quoi méditer ne croyez-vous pas ?

Toute la famille s’est réunie autour de moi sur d’autres chaises longues, pour écouter ces vieilles histoires, et ne pas me laisser veiller tout seul.

-« Et si on allait se coucher ? »

J’entends un cri de joie, qui me dispense d’avouer ma furieuse envie de dormir. Chacun ramène sa chaise, et j’éteins la lumière bleue. Les papillons vont bénéficier de la grâce présidentielle cette nuit, et on sera plus en forme demain matin, pour attaquer la chasse de jour !

Bonne nuit cher lecteur, et pense à Orion dans tes rêves !


Le lendemain, je n’ai pas oublié toutes ces histoires. Les courses terminées, nous sommes en week-end en juin vous vous rappelez, je file dans le causse, au nord, vers le Lot, à quelques kilomètres. Je retrouve mon coin de dorycnium, et mes papillons de jour préférés. Un coin d’herbes sèches pas loin m’a l’air bien sympathique. Je cherche Orion. La loi des séries. J’ai tort.

Orion est un azuré de la Famille des Lycaenidae. Il a le dessus bleu azuré de cette famille, orné sur le dessus d’une rangée de petits points, qui le rend très esthétique. C’est en langage commun : l'azuré des orpins. Mais pour les latinistes, c’est Scolitantides orion. La plantes hôte : les orpins (des sedum). Il est très localisé et généralement peu abondant.

Je cherche Orion, et ne le trouve pas cette fois-ci. Je le prendrai par hasard comme souvent quand on s’obstine sur une unique recherche. Chez les antiquaires, il est bien connu que  l’on ne trouve jamais ce qu’on cherche ; mais quand on trouve un objet que l’on ne cherchait pas, il faut absolument l’acheter car quand le trouvera-t-on à nouveau, le jour où on ne pourra pas s’en passer alors qu'on ignorera où le trouver ?


Je cherche Orion car je veux absolument voir le baudrier quelque part. Est-il dessus, dans les ocelles du pourtour des ailes ? Est-il dessous comme on pourrait le penser, les yeux d’Argos ressemblant pour une fois non à des yeux mais à une constellation céleste ?


Dessus, j’adore le dessin périphérique ponctué du rang des Alnilam, il crée un contraste avec le cerne blanc qui met en valeur le bleu azuré ponctué de noir.


Dessous, j’ai beau regarder et ne vois rien qui ressemble au baudrier, avec le collier de perles des contes arabes… et pourtant !  Mais si, mais si sur l’aile postérieure …dans le coin en bas à gauche : les quatre points ! Betelgeuse et Rigel ! au centre deux des trois étoiles du baudrier, et l’arc modèle réduit à droite ! et même la massue encore plus haut !


J’ai fait une impasse à cause de la fatigue, et j’ai omis de rechercher du côté de scolitantides qui précède orion, et qui a donné leur nom aux Scolytes, les insectes parasites de l’orme. Scolyte vient du grec qui désigne : vers de terre ; larve….

Ce nom a été donné par Pallas en 1771….. Ce Pallas connaissait certainement la légende… Le tableau de Poussin….Je crois comprendre….

     Orion, sa particularité, n’est pas tellement la constellation d’Héra !

Orion, sa spécificité, c’est l’origine curieuse de sa naissance !

Bingo ! Il est sorti de terre, comme une larve peut le faire. Il a fallu Pasteur pour démontrer que les organismes vivants n’existent pas dans le vide, dans un milieu pasteurisé, mais que s’ils sortent de terre, ils y existaient auparavant sous une forme précédente de larve ; œuf ou autre.

Scolitantides c’est d’abord Scolitus, le scolyte. Et puis le substantif derrière, c’est « qui fait le… ». C’est : «Orion qui fait le scolite ». Un rôle de composition ! Comme est né Orion. Non de l’accouchement d’une maman comme d’habitude ; mais sorti de terre, d’une simple peau-de-vache-arrosée-de-l’urine-de-son-paternel !

Pallas dans sa métaphore  fait comme si la larve du papillon sortait de terre. On peut dire ça,  à la rigueur, la petite chrysalide étant lacée sur une feuille d’orpin, pas loin du sol. Pour l’Apollon, cela serait plus conforme les chrysalides étant posées au sol lors de la dernière mue nymphale.

                                                   Non seulement Orion est  dessiné  sur ses ailes,
                                                   mais comme Orion il « sort de terre » en naissant !


Plus tard donc, en recherchant les Apollo des dolomites italiennes, au nord de Venise, je tomberai par hasard, comme chez un antiquaire, sur une petite colonie d’Orion. Comme les Apollons, ils fréquentent les mêmes plantes, les sedum, des orpins.


je vous ai déjà montré cette boite, mais il faut maintenant repérer orion au centre !

Je puis donc voir Orion, la constellation, sans regarder le ciel !


Et cette nuit, Orion sera là-haut, protégé du Scorpion

et moi, je vais pouvoir enfin

dormir !


les voici...!