mercredi 29 décembre 2010

Epilogue

J’ai eu la chance d’avoir des Maîtres, et même des Maîtres-es-papillons. Puis j’ai été Maître à mon tour. Avec l’initiation j’ai compris le sens des trois piliers : force ; sagesse et beauté. Car sans Force on ne peut résister aux coups durs de la vie et il faut la force (de caractère) pour conduire une vie d’étudiant ; puis un parcours professionnel. Il faut la force physique, la force morale, puis la force spirituelle de regarder droit-devant dans la dernière ligne droite. Peut-être ces stades constituent-ils une métamorphose progressive, avant l’accomplissement final de l’âme ? Comme les métamorphoses du papillon ?

La sagesse, c’est la grâce de ne pas succomber à la mode, et de s’en tenir à l’essentiel, en respectant l’autre. Une maxime latine traduit bien l’état d’esprit de notre société : « Virtus post Nummos ». La vertu après l'argent. Il n’y a rien de plus détestable, avec la vulgarité. La sagesse apporte l’apaisement, une fois mises en avant les valeurs humaines vraies : travail ; loyauté, et amour.

Et sans beauté on ne peut tout simplement pas vivre, car il n’y a plus du tout alors de sens à la vie ; la beauté entraîne le choc émotionnel esthétique, et les grandes excitations spirituelles. On ne peut vivre sans peintres ni sans sculpteurs. J’ai tenté dans la villa Apollo de m’entourer d’un cabinet de curiosités, comme ceux du dix-huitième siècle, mais il est moderne grâce à la photographie et aux nouvelles technologies. Je me rappelle cette leçon de décoration à l’usage des peu argentés : « si vous voulez décorer une pièce, créez une bibliothèque, même composée de livres de poche ; elle n’a pas besoin d’être grande ! ». Vous pouvez accrocher des photos au mur, et les encadrer vous-mêmes. Si vous encadrez des papillons, vous serez certain d’être entouré de  beauté.

Grand romantique, je ne me lasse pas du spectacle de la nature. La richesse pour moi, c’est la diversité. Rien de plus nostalgique que d’aller voir dans les vitrines du Muséum les œufs énormes de l’Aepyornis de Madagascar, car je me dis que l’Ornithoptère Queen Alexandra's Birdwing d’Australie, dont l’envergure atteint vingt-huit centimètres, pourrait bien disparaître lui aussi. Et avec lui ce serait un peu de pure beauté qui s’en irait.

Pour protéger cette diversité, il n’y a qu’une parade : préserver les habitats. L’homme a une chance immense, il peut coloniser n’importe quelle terre aride, comme à Dubaï ! Les espèces vivantes, non. Elles se sont adaptées à des équilibres souvent fragiles : sol-climat-environnement végétal, voire symbiose avec d’autres espèces. Intervenir là-dedans, c’est véritablement être l’éléphant dans un magasin de porcelaine !

On sait faire, comme le montre la réussite de la politique des Parcs naturels, qui tentent de rendre harmonieuses la vie humaine et celle des espèces végétales et animales dans un même espace ; on a vu que même à Paris cette cohabitation était possible.

Par contre on fait trop fi de la propriété foncière : les agriculteurs abritent souvent dans leur champ des trésors de la nature dont ils n’ont pas conscience ; c’est dommage, l’Agriculture a connu un courant de pensée étonnant, quand elle a inventé la politique des contrats territoriaux d’exploitation. L’idée d’une agriculture respectueuse de l’environnement s’est alors manifestée (loin de dire qu’elle a prévalu !), quitte à en compenser financièrement les inconvénients (les fameux nummos qui précèdent la virtus), agriculteur par agriculteur ; en réalité propriétaire-foncier par propriétaire-foncier. Mais cette politique a souvent été détournée comme un robinet financier de plus, en perdant son sens quand on a voulu faire des agriculteurs les jardiniers de l’espace. Comme on disait en classes de latin, voilà un vrai faux sens car il ne s’agit pas de transformer la planète en jardin, il ne s’agit pas de jardinage, mais de conservation au sens Conservateur des eaux et forêts, celui qui "imite la nature et ne fait que hâter son œuvre", en la perpétuant intacte dans toute sa diversité. Il y faut de l’humilité, et ce n’est pas la vertu la plus répandue depuis que l’homme se prend pour Dieu.

J’ai tenté de faire changer les esprits, quand j’étais aux affaires. Comme souvent dans ma vie, j’avais dix ans d’avance, et me prenais pour Cassandre. Je croyais qu'avec les systèmes d'information géographiques, on allait pouvoir repérer les biotopes sensibles, relier cette information aux aides reçues par les propriétaires, et obtenir d'eux quelques pratiques bio en échange, le but étant de sauver les insectes. Morts de rire ont été mes interlocuteurs, quand j'ai osé leur avouer ce projet...! Vous observerez que le nouveau site data.gouv.fr récemment mis en ligne ne contient aucune information spatiale environnementale, sauf les périmètres des Appellations d'origine contrôlée (A.O.C) dont je ne sais ce que le grand public va réellement en faire.

Depuis, des tas de personnalités, comme le talentueux Hubert Reeves, et d’autres hommes et femmes célèbres, s’emparent de ce sujet en Politiques soucieux d’être clairvoyants. Mais, soit dit sans forfanterie, ils prêchent le risque d’une sixième crise d’extinction des espèces, et ils s’achètent pour eux-mêmes un petit Paradis de Nature. Mais dans la pratique ils ne savent  comment s’y prendre, sauf constituer un groupe de pression, pour faire adhérer le plus grand nombre. Le discours écologique (et non pas écologue) en cette période pré-électorale est de ce point de vue navrant d'absence d'arguments. On peut être une ancienne (brillante) juge et cependant incompétent(e) en sciences de la Nature...!

J’ai appris ce qui suit dans mon parcours personnel dans l’enseignement agricole, où l’ingénierie de formation amène couramment la réflexion à des altitudes élevées : pour faire changer les mentalités du plus grand nombre de ses contemporains, ce qui est le fondement même de la vocation du Politique (servir l’intérêt général), on doit absolument se poser trois questions, sans lesquelles tout n’est que palabre :

-savent-ils ?
-peuvent-ils ?
-veulent-ils ?

-Savent-ils qu’il existe des papillons et quelle est la fragilité de leur existence ?

-Peuvent-ils (quand ils en ont l’opportunité notamment quand ils en possèdent foncièrement les habitats), les préserver durablement ? Subissent-ils des contraintes techniques ; matérielles ; organisationnelles ; fiscales et financières aussi ? comment lever ces contraintes... pour qu'ils puissent...?

-veulent-ils que perdurent les papillons, ou préfèrent-ils poursuivre d’autres objectifs pour leurs terrains, comme plus de nummos par exemple, (en choisissant l’immobilier ou autre) ?

Se poser ces questions, marque le début d’un commencement de réponse…

Colette nous l'a déjà appris, c’était en 1936, chez Plon. On est censé savoir. Au moins depuis deux cent soixante ans que Linné nous pousse à étudier la mythologie. On peut car les techniques abondent. J'ai peur qu'on ne veuille pas vraiment ?


Cher lecteur ami, vous savez maintenant. Profitez des papillons tant qu’il en existe encore.

N’y voyez que force, sagesse et beauté.

Peut-être cela suffira-t-il à vous rendre heureux ?

Car si l’on est sage,

 on peut être heureux simplement

en admirant ce bel Argus bleu !